Home » Numero 22-2021 » Stratégie d‘utilisateur » Producteur de spiritueux et créateur de fierté : Ferme de Faronville, FR

Producteur de spiritueux et createur de fierte

Pauline et Paul-Henri Leluc sont deux satellites de l’agriculture, issus du monde commercial et journalistique. Redevenus agriculteurs il y a 14 ans, leur coeur de métier est la grande culture. Ils ont toutefois décidé de  suivre des chemins plus complexes . Sortant des sentiers battus, ils se sont lancés dans la production de vodka. Une aventure menée par des rêveurs droits dans leurs bottes.

L’histoire familiale, la continuité temporelle et la volonté d’offrir à leurs 4 enfants une vie riche de lien et de sens ont conduit Paul-Henri à reprendre la ferme de son grand père implantée dans la Beauce en 2007.« Revenir à Faronville est un mode de vie qui nous rapproche de nos racines et qui tend vers ce que nous souhaitons de plus cher pour les enfants : ramener de la vie dans les fermes, créer de l’emploi et une vie professionnelle épanouie, créer quelque chose de durable dans les champs  et socialement sur le territoire. Notre exploitation est plus qu’un projet professionnel, c’est une réflexion holistique, une recherche d’équilibre global. »

Paul-Henri a l’intelligence du lien humain qu’il transmets à ses salariés et  apprentis, et qu’il retrouve en clientèle. Sa curiosité des autres et de toute chose lui sert de moteur et  le conduit à faire évoluer ses pratiques.

Etendre la rotation

Les rotations courtes s’enchainaient depuis des années avec du blé, de la betterave et de l’orge de printemps. Les betteraves constituaient l’assolement principal et revenaient tous les 3 ans, parfois tous les 2 ans. Les maladies se sont développées et les rendements ont chuté.Le taupin et le rhizoctone ont fait des dégâts. Il y avait  beaucoup de chenopodes et 5 passages d’herbicides étaient nécessaire pour lutter contre cette adventice, sans pour autant réussir à garder les parcelles propres. La fin des quotas sur le marché de la betterave a fini de convaincre Paul-Henri quant à la nécessité de changer son fusil d’épaule. « Le monde agricole change constamment et nous oblige à nous adapter. »
Paul-Henri commence par allonger la rotation et limiter le travail du sol. « J’avais plusieurs objectifs: lutter contre le salissement, limiter les coûts, restructurer mes sols, ramener des éléments nutritifs et abandonner la betterave qui devenait incertaine. Je suis parti sur une rotation  blé, orge, pomme de terre, blé, blé, orge et maïs, tout en intégrant des couverts. A chaque moisson, je sème un mélange créateur de biomasse, composé de phacélie, de moutarde, de tournesol, de féverole et de radis. Ce mélange digère la paille, restructure le sol grâce à son système racinaire multiple et restitue au sol et à la culture suivante des éléments nutritifs au moment de sa destruction. Il a l’avantage d’avoir un coût limité de l’ordre de 55€/ha ».
«  Je suis une stratégie opportuniste qui dépend de la météo afin d’optimiser les rendements et la gestion des éléments nutritifs. Par exemple, je ne semerai pas du blé sur blé si le couvert n’a pu se développer. »

Acquérir le matériel adéquat

« Pour correspondre à notre itinéraire technique en agriculture de conservation, nous avons acquis un Avatar 12 SD. Ce semoir, moins cher au mètre que sa version 8 m a l’avantage de semer à 25 cm et de diminuer la pression des maladies sur le blé dur à une densité de 300-350gr/m². Il est plus simple à manœuvrer que le 8 m. Si mon investissement est caduque, la valeur de revente est toutefois assurée. En achetant cette machine, je ne prends en finalité aucun risque : elle fonctionne,  je la garde ; elle ne fonctionne pas, je la revend sans qu’elle aie perdu de valeur.
Les semoirs de semis direct à disques et à dents étant complémentaires, nous avons également en notre possession un HORSCH CO 8 équipé de pointes fines pour le semis de couverts dans les pailles l’été. Ces semoirs sont au cœur d’une stratégie de gain de temps sur la gestion des parcelles. Nous pouvons ainsi mieux travailler la partie dédiée aux pommes de terre et aux spiritueux. En effet, la pomme de terre est mieux rémunérée que le blé, et l’agriculture de conservation est un risque trop important pour cette culture. Le contact des pailles sur sa peau est source de maladie. » Le maïs quant à lui est semé en strip-till.

Changer de paradigme

Après un an à travailler de manière traditionnelle,  Paul-Henri tourne en rond. Il dynamise alors la vente de ses pommes de terre. « Un voisin m’a proposé des contrats hectares. J’ai refusé. J’ai préféré assurer la production de pommes de terre moi-même et les revendre ensuite. » L’année suivante, après avoir compris le fonctionnement, il  investit dans un batiment de stockage et de conditionnement et commence à commercialiser sa production. Tout d’abord à Rungis, le plus grand marché de France, puis en Italie, en Espagne et au Portugal. Pour gagner en marge, il trie les pommes de terre. « Cela me permet d’assurer le paiement à 95% de ce que je livre,sans pénalité de tare/terre ou de calibre non conforme. »

Ce marché est prospère, mais Paul-Henri a besoin d’aventure. « J’avais besoin de projets. J’aime l’animation dans une cour de ferme.J’avais en tête ces fermes d’autrefois ou ces domaines viticoles dotés d’un certain dynamisme. »
Le déclic est venu d’un séjour en Finlande offert par Valtra. Passionné de spiritueux, il visite une distillerie et déguste de la vodka. « J’appréciais beaucoup le whisky écossais et avais de gros à priori sur la vodka. Mon regard a changé sur cette boisson. J’ai saisi le potentiel sur notre ferme. La vodka, à base de pomme de terre, correspondait tout à fait à notre modèle économique. »
La fin des quotas de betteraves induisait un paiement de droits à produire de 140 000 €. Pourquoi payer quand la rentabilité est en chute libre ? Cet argent non utilisé peut servir à d’autres projets plus rentables. Paul-Henri prend alors des risques. Il conçoit un business plan sur la base de sa passion pour les spiritueux, est suivi par la banque pour son côté audacieux. Il achète un alambic qu’il installe à Faronville. « C’était un pari sur l’avenir : la vodka n’est pas dans les mœurs françaises et le marché est aux mains de quelques producteurs. C’est un cercle fermé, où il faut tout apprendre par soi même. »
Paul-Henri a-t-il  suivi le guide du petit chimiste vous demandez-vous ? Paul-Henri sourit : « J’ai été me former à la distillerie Ergaster de Noyon, dans l’Oise. On cherche la bonne méthode pour liquéfier la pomme de terre, trouver la variété idéale en saveur et en texture. Il faut tatonner ensuite sur les aspects liés à la filtration. La levure est un peu la baguette magique qui transforme les sucres en alcool. En fonction du degré de transformation plus ou moins rapide, le goût sera différent. Le vieillissement et la conservation en bouteille jouent autant sur la qualité. »
Outre la réflexion sur la production du breuvage, Paul-Henri a entrepris les démarches administratives auprès des douanes et de la DGCCRF. La fabrication d’alcool est très contrôlée. « C’est à ce moment que je suis redescendu sur terre. A partir du moment où j’ai signé l’achat de l’alambic, je ne pouvais plus faire marche arrière.

Un esprit different

Du fait de la volatilité des prix des céréales et de coût à l’achat des terres plus élevé, beaucoup d’agriculteurs augmentent leur marge en diminuant les coûts de production. Ce n’est pas le cas de Paul-Henri.
« Nous avons déjà atteint un seuil en terme de réduction de charges. Nous allons peut être pouvoir encore diminuer de 25 à 30€, mais le but est désormais de s’orienter vers une augmentation de chiffre d’affaires/ha. » explique Paul-Henri. « Aujourd’hui, nous atteignons les 1,5 millions de chiffre d’affaires pour 260 hectares.»
Si les innovations sont aussi rémunératrices, tout secteur confondu, c’est  en raison de la difficulté à les mettre en œuvre. « J’échange avec d’autres agriculteurs sur l’agriculture de conservation, la réduction de l’usage de produits phytosanitaires mais pas sur la partie la plus innovante de mon projet, à savoir la distillerie. Personne ne dit rien car je suis un concurrent. J’ai beaucoup lu et j’ai défriché de  nombreux sujets. Et, surtout, j’ai  cru en moi et en mon projet. »
Ce projet est un accomplissement personnel qui confirme une volonté d’être différent. « Cela peut être douloureux de ne pas être soutenu ou de voir les autres douter de ses propres convictions. Mais cela ne représente que peu de poids par rapport à la satisfaction et à la fierté ressenties. »

De l’interêt du marketing

Le marketing a tout son sens en agriculture. C’est Pauline, l’épouse de Paul-Henri qui tient cette casquette, tout autant que le commerce et la partie administrative : « Je conçois le marketing comme un outil de communication qui véhicule  l’authenticité auprès de la clientèle. La beauté des images, la mise en scène du quotidien n’est pas antinomique de la sincérité. Un agriculteur a le marketing de la sincérité en lui. Ce n’est pas un vendeur de paillettes ! Dans cette optique, nous cherchons à imposer le hashtag #venezvérifer sur les réseaux sociaux. »
« Les belles histoires transmettent notre propre envie d’accueillir les consommateurs. Rien n’est plus communicatif ! Il ne faut jamais mentir et c’est pourquoi nous communiquons également sur les produits phytosanitaires. 50% de notre clientèle nous pose la question. Nous voyons bien que c’est un sujet très impactant.»

En tant que paysans travaillant dans le premium, il a fallu investir du temps pour se familiariser à Instagram. Le Monde, l’Express, le Point les ont rencontré via les réseaux sociaux. Il ne faut donc pas les sous estimer ! Ces relations amènent des contacts qui se transforment en amitié puis en ouverture sur les autres.
Au-delà de cette scénarisation de la vie d’agriculteurs-producteurs, il a fallu réflechir au packaging et à la manière de prendre en photo les produits et le travail sur l’exploitation. Faire rêver, sans enjoliver à outrance. Faire rêver, les pieds droits dans les bottes en somme. « Il est important pour nous d’inscrire ce marketing de l’authenticité dans la durée et ainsi de créer une véritable histoire. J’ai choisi de donner une âme à notre produit et à la ferme. Voir notre photo dans la distillerie dans 200 ans avec notre X-ème petit enfant  qui continue à distiller serait une vraie fierté. »

Pour conclure

Paul-Henri et Pauline sont agriculteurs, producteurs et inventifs. Mais leur monde ne tourne pas autour de l’exploitation. Leurs activités économiques gravitent autour de ce qui leur est le plus cher : leurs enfants. « Nous voulons leur montrer qu’un équilibre global est possible : travail et famille,  réussite financière et agriculture, création d’emploi et campagne, environnement et productivité. Pour ce dernier point nous avons fait de nombreux essais concluants et sommes désormais engagés en Global Gap ( partenariat global en faveur des bonnes pratiques agricoles) et HVE (label Haute Valeur Environnementale).
Si J’ai bien un message à transmettre aux lecteurs de terraHorsch, c’est qu’il ne faut pas s’enfermer dans une seule voie et s’acharner. Quand bien même, chaque erreur est une opportunité à saisir pour évoluer. Ecouter les consommateurs, observer ce que font les voisins, s’inspirer de pratiques à l’étranger est important pour garder une ouverture d’esprit. Le monde agricole change tellement qu’il serait illusoire d’espérer garder les mêmes pratiques toute une vie. Moi-même, je ne ferme pas de porte vers le bio, et j’apprécie augmenter le nombre de leviers pour voir mes cultures prospérer. »