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L’agriculture du futur

Quel sera le visage de l’agriculture du futur ? Quelle sera son influence sur la protection du climat ? Qu’est-ce que la société continuera à exiger des agriculteurs ? Michael Horsch se pose également ces questions et tente d’apporter des réponses.

terraHORSCH : Quelles stratégies recommandez-vous pour une contribution positive de l’agriculture à la protection du climat?

Michael Horsch : Quand on me parle du futur je réponds que nous y sommes déjà ! Actuellement il y a beaucoup de débats au sujet du CO2. Intéressons-nous par exemple à la question de l’utilisation de l’humus, que les associations écologistes mettent souvent en avant. La question que je me pose est la suivante : pourquoi chercher à stocker de manière permanente de l’humus durable dans le sol plutôt que de produire de l’humus nutritif pour les plantes ? Celui-ci est en effet le produit d’une décomposition rapide. Par ailleurs, nous avons besoin d’une certification relative aux émissions de CO2, reconnue par un organisme certificateur.
Pour les organismes certificateurs, les émissions de CO2 sont un potentiel important, notamment pour les constructeurs automobiles ou la grande distribution. Cette dernière ne vise pas seulement la neutralité des émissions de CO2, mais envisage même d’avoir un bilan carbone positif. Pour cela, elle pourrait par exemple, faire la promotion de produits alimentaires provenant de producteurs dont il a été prouvé que leurs techniques culturales permettent d’accumuler du CO2 dans le sol. Imaginez simplement quel effet cela pourrait avoir sur le consommateur de plus en plus préoccupé par les enjeux climatiques. Les consommateurs préfèreront acheter des aliments régionaux également conçus pour produire de l’humus plutôt que des aliments qui sont valorisés avec des crédits carbone pour planter des arbres en Indonésie ou dans l’Himalaya.

terraHORSCH : Comment le machinisme agricole peut-il soutenir les agriculteurs sur le sujet du CO2 ?
Michael Horsch
 : Je suis divisé sur cette question : d’une part, l’empreinte carbone des moteurs diesel a fait l’objet de beaucoup de progrès, mais d’autre part, cela reste une goutte d’eau dans l’océan. En agriculture,  nous avons besoin aujourd’hui d'environ 100 litres de diesel/ha, ce qui correspond environ à une émission de 300 kg de CO2/ha. Avec de meilleurs moteurs, de meilleures transmissions et de meilleurs pneus, nous aurions pu économiser peut-être 20 l/ha ou 60 kg/ha de CO2. Mais si cela prenait une autre tournure économique, sur laquelle les constructeurs de machines agricoles peuvent  également exercer une influence majeure, alors 5 000 à 10 000 kg/ha de CO2 pourraient être stockés dans le sol chaque année. En comparaison, une économie de 60 kg/ha est négligeable.

terraHORSCH : Le CO2 semble donc être l’un des thèmes centraux des agriculteurs à l’avenir.
Michael Horsch : Avec le changement climatique, les agriculteurs ont une nouvelle chance de se rapprocher des enjeux de société. À deux reprises au cours des 100 dernières années, la recherche agricole a cherché à produire de l'humus. La première fois c’était en 1920 après la Première Guerre mondiale en raison de la famine, puis à nouveau en 1950 après la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, le défi de l'agriculture était de produire suffisamment de denrées alimentaires pour nourrir correctement la population. La production d'humus était alors au premier plan.
Au début des années 1960, les tracteurs, les engrais, les produits phytosanitaires et la sélection génétique sont arrivés en force et les rendements ont commencé à augmenter régulièrement. L’humus a alors joué un rôle moins important. Beaucoup de critiques de l'agriculture conventionnelle affirment même que l'humus aurait été dégradé. Dans la grande majorité des cas, ce n'était pas vrai. En raison de la forte augmentation des rendements dans les années 70, 80 et 90, la quantité de nutriments dans l’humus aurait même augmenté.

terraHorsch : Les objectifs de l'agriculture moderne doivent-ils changer pour répondre aux exigences actuelles?
Michael Horsch : Nous nous demandons si cela est compatible avec la croissance des rendements annuels de 1%. C'était le cas jusqu'à il y a dix ans avec la rotation des cultures de colza, de blé et d'orge en Europe occidentale. Nous réalisons maintenant que les rendements dans certaines régions, par exemple dans le sud de l'Allemagne, dans le centre de la France ou dans l'est de l'Angleterre, ne sont plus aussi importants que par le passé. Ce serait donc peut-être une alternative pour de nombreux agriculteurs de percevoir un revenu supplémentaire grâce à la production d’humus, ce qui n’est pas nécessairement compatible avec le principe de maximisation absolue du rendement. Cependant, cela ne fonctionnera pas dans toutes les régions.
Si les certificats sont négociés aujourd'hui avec un maximum de 50 €/t ou dans le futur, peut-être avec un maximum de 250 à 500 €/ha, cela vaut vraiment la peine de s’y pencher. Je suis sûr que si les agriculteurs recevaient 500 €/ha pour la constitution d'un stock d’humus au lieu d'une subvention de 300 €/ha, cela aurait un retentissement positif auprès de la société.

terraHorsch : Surtout en agriculture conventionnelle, la discussion sur la formation de l'humus s'accompagne d'une réflexion sur la réduction de l'intensité du travail et sur l'usage duglyphosate comme pilier de cette stratégie ?
Michael Horsch
: Le glyphosate est considéré, du point de vue politique, comme interdit en Europe occidentale, du moins pour le moment. Pour lutter contre l’érosion et préserver la composition en humus, le glyphosate en petites quantités en remplacement partiel du travail du sol serait certainement une contribution respectueuse de l’environnement. J'entends des paroles plus apaisées venant des adversaires du glyphosate, qui le perçoivent aussi sous cet angle. Cependant, tant que le soja et le maïs Roundup sont cultivés en Amérique du Nord et du Sud avec la consommation de glyphosate la plus élevée au monde, pratiquement aucun opposant local au glyphosate ne sera prêt à s’engager dans cette voie.

terraHORSCH : Que pensez-vous de l'utilisation accrue de micro-organismes (ME) et des effets qu’ils pourraient avoir sur le sol et les plantes?
Michael Horsch :
Les bactéries, les champignons et les enzymes spécifiques présents dans la nature et qui se développent et se répandent dans le sol ou sur la plante ne sont pas nouveaux. La nouveauté est plutôt dans le fait que la biotechnologie moderne est à-même d’expliquer plus précisément ce qui se passe et comment en tirer profit. Mais, il ne faut cependant pas oublier qu’encore aujourd’hui très peu de recherches fondamentales sont menées et que beaucoup reposent sur les expériences empiriques de chercheurs.
Cependant, nous voyons ici un champ d’action très intéressant pour mieux comprendre et utiliser, par exemple, les relations dans le sol et la plante et leurs effets positifs. La réduction des fongicides et des insecticides jusqu'à ce qu'ils puissent être complètement remplacés est une autre piste intéressante. Nous observons actuellement cela avec les grands producteurs de soja au Brésil.

L'intégration des micro-organismes pourrait être une autre approche pour le développement de l'humus permanent. La carbonatation des micro-bactéries sera-t-elle l’un des défis majeurs dans un avenir proche ?

"Les agriculteurs devront réfléchir davantage à leur empreinte carbone à l'avenir."

terraHORSCH : Quelle contribution HORSCH peut-il apporter?
Michael Horsch :
Nous continuons à nous concentrer sur les problèmes auxquels nous sommes confrontés depuis un certain temps. Je parle toujours de sujets tels que le CO2, ME, MC, la densité de nutriments dans les aliments ou les aliments sans résidus. Nous devons donner vie à ces questions maintenant. C'est ce que nos clients exigent de nous. C'est pourquoi nous travaillons intensivement sur l'agriculture biologique.
De plus, nous sommes curieux de voir comment l’agriculture hybride va évoluer. Les points de vue de l'agriculture bio et ceux de l'agriculture conventionnelle se rejoignent ici. Peut-être qu’une forme complètement nouvelle de production alimentaire pourra être anticipée en combinaison avec la biotechnologie moderne.

terraHORSCH : L’industrie de l’humus est souvent associée à l’élevage. Selon vous, comment la consommation de viande va-t-elle évoluer à l'avenir?
Michael Horsch :
Suivre ces évolutions sera plutôt excitant. Le PF (Precision Fermentation – fermentation de précision) et le flexitarisme (moins d’aliments d'origine animale pour davantage d’aliments végétaux) sont à la hausse. Il existe des groupes de réflexion qui prévoient que le PF remplacera 50% de la viande de bœuf dans dix ans, rien qu'aux États-Unis. Je ne veux pas trop m’emballer. Mais si seulement 10% de ces prévisions arrivent, les producteurs de soja et de maïs des États-Unis et du Brésil seront face à un mur.

ME – Micro-organismes efficaces : c'est un mélange concentré de micro-organismes régénératifs qui ont un effet positif sur les processus vitaux de la plante. Par exemple, ils peuvent prévenir la pourriture ou la moisissure.
PF - Precision Fermentation : il s’agit du processus de production synthétique de substituts de viande.
CM - Carbonatation microbienne : dans ce processus, la biomasse organique, par exemple le fumier d'animaux d'élevage ou les déchets végétaux, est traitée de manière anaérobique. Cela se produit également avec l’ajout de micro-organismes sélectionnés.