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Inflation : vers un nouveau modèle agricole ?

Le constat est sans appel : nourrir huit milliards de personnes ne peut plus se faire dans les conditions de production actuelles. Les acteurs d’aujourd’hui, notamment les plus jeunes, doivent avoir conscience des défis à relever. De formidables opportunités s’offrent à eux ainsi qu’à leurs ainés.

Intervenant lors des Journées de la Lucine 2022 organisées par HORSCH en septembre, Philippe Dessertine, économiste et membre du Haut Conseil des Finances Publiques français, constate que, depuis janvier 2020, les crises sanitaires, géopolitiques et économiques ont profondément changé les regards sur l’agriculture. Le monde de la finance en particulier a compris que sans agriculture pour nourrir les populations, il n’y a plus d’activité économique ! Conscients de ces enjeux, les acteurs financiers investissent dans l’agriculture. Leurs capacités sont équivalentes à plusieurs fois celles du budget de la PAC, pointe l’économiste.
Les mécanismes inflationnistes font partie des difficultés à surmonter, dans les pays développés mais surtout dans les pays les plus pauvres, où les tensions autour des approvisionnements alimentaires sont source d’instabilité. Philippe Dessertine souligne ainsi que : « Les jeunes générations doivent aujourd’hui entendre que le secteur agricole est stratégique ».

Juguler l’inflation

L’économiste rappelle que l’inflation est due à un décalage entre la monnaie et la richesse. Trop de dettes par rapport à la richesse produite est un terrain inflationniste. En 2007-2008, le Produit Intérieur Brut (PIB) mondial s’élevait à 80 000 milliards de dollars américains et la dette mondiale à 140 000 milliards. Aujourd’hui, ces chiffres atteignent respectivement 92 000 milliards et 250 000 milliards ! Une situation qui était donc déjà présente avant le COVID et que l’augmentation des liquidités a accentuée. Les taux d’intérêt et le coût de l’énergie bas masquaient ce phénomène. La crise énergétique liée au conflit en Ukraine en a été le déclencheur.
Une des craintes qui autoalimente l’inflation est la boucle prix/salaire : les entreprises accordent des augmentations de salaires en réponse à l’augmentation des prix. Les coûts salariaux augmentent en conséquence, ce qui se répercute aussi sur les prix. L’inflation est une « course que tout le monde perd » avertit Philippe Dessertine. Toutefois, la situation est gérable si tous les acteurs économiques adoptent le même comportement : ne pas conserver de cash et raccourcir les délais de paiement. L’argent perd de la valeur mais les conséquences sont les mêmes pour tous. Pour en sortir, il faut continuer à créer de la richesse - et ne pas se replier vers les valeurs refuge que sont l’or, la pierre ou les terres - en maintenant les investissements.

Un changement de valeur

Au vu des enjeux actuels, climatiques et démographiques, l’agriculture a une opportunité extraordinaire de créer de la valeur estime Philippe Dessertine. Une valeur qui repose sur l’aspect durable de la production et la capacité à réduire les émissions de CO2. Ce qui compte, c’est moins le résultat financier d’une entreprise que son impact (environnemental, humain, social…), à l’instar du constructeur Tesla dont la valorisation est bien supérieure à celle de ses concurrents qui produisent plus de véhicules. Les investisseurs ont besoin de mesurer la nouvelle valeur créée. Cela passe par la gestion des données (carbone stocké, indicateurs agroécologiques, rendements…), une source de valorisation pour les agriculteurs. Pour Philippe Dessertine, c’est un changement de modèle économique comparable à celui du passage du cheval à l’automobile, et dans lequel la création de valeur repose avant tout sur l’humain : sans producteurs, il n’y a pas d’agriculture.

Vers de nouveaux équilibres

Poursuivant la réflexion sur ces changements, Christian Huyghe, directeur scientifique de l’INRAE, s’est attaché à identifier les bases d’un nouveau modèle agricole. Dans toute transition, il faut s’entendre sur les objectifs à atteindre, précise-t-il. Un des enjeux est celui de la sécurité alimentaire mondiale, dans un contexte d’urbanisation croissante. Cela représente des défis logistiques majeurs de production alimentaire, que les pays en voie de développement auront plus de mal à relever. « Pour se nourrir, les populations amènent avec elles les animaux dans les villes, ce qui augmente les risques sanitaires » indique Christian Huyghe. Se pose ainsi la question de la transition alimentaire et de l’analyse des besoins réels en protéines. Pour le directeur scientifique, une nouvelle organisation de la chaine alimentaire et de nouveaux équilibres sont à trouver, en tenant compte de la nécessaire réduction des émissions de gaz et effet de serre.