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Changement climatique - nous sommes-nous trompés?

Le prix de l’énergie et du transport s’est envolé. Mais le prix des céréales subit lui-aussi des hausses régulières. Les rendements des récoltes sont impactés de manière significative par les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les pluies intenses, les inondations ou encore les épisodes de sécheresse. Tandis que les niveaux de rendement baissent, la demande demeure pour autant toujours constante. Michael Horsch nous partage sa vision de la situation actuelle sur le marché des céréales, l’impact théorique d’une pénurie et dévoile les préoccupations de HORSCH en la matière.

terraHORSCH: Le marché des céréales est actuellement sous tension et les prix aussi. La demande est importante. Le changement climatique met les agriculteurs et les rendements à rude épreuve. Nous trouverons-nous bientôt face à un mur?
Michael Horsch
 : Je souhaiterais partager quelques réflexions en préambule : il est légitime de se poser toutes ces questions et de réfléchir aux conséquences. Imaginer un tel scénario afin d’avoir des solutions clé en main. Pour ma part, je n’aime pas à penser que nous avons déjà atteint le point de non-retour. Bien sûr, il est primordial de se préoccuper des sujets d’avenir et de ne pas se voiler la face sur la situation actuelle. Pour autant, il ne s’agit pas d’être catastrophiste.
Il faut évidemment faire preuve de discernement face à un tel scénario : il ne faudra plus compter sur l’augmentation du niveau des rendements sur le plan mondial. Nous disposons de presque un milliard d’hectares de terres agricoles, à partir desquels sont produits 3 milliards de tonnes de céréales comme le maïs, le blé, le riz et d’autres variétés  ainsi que 500 millions de tonnes d’oléagineux tels que le soja, le colza, le tournesol, etc. Nous savons que nous ne pouvons pas compter sur l’augmentation de la surface actuellement disponible et que la plupart des terres cultivées au niveau mondial sont exploitées de manière optimale. Ces 3,5 milliards de tonnes de céréales et d’oléagineux couvrent - directement ou indirectement - environ 70% de notre apport calorique total.
Cela signifie que ce sont bien ces 70% du besoin calorique, assurés par la production de céréales et d’oléagineux, qui sont primordiaux. La diminution de la production de pommes de terre, de légumes ou de pommes, due au gel par exemple, ne met donc pas le système en péril. Prenons la pénurie de puces électroniques que nous traversons actuellement: il y a certes moins de voitures disponibles sur le marché, mais nous ne souffrons pas de la famine. Si le pétrole venait à manquer, nous trouverions d’autres alternatives. Cela n’est en revanche pas valable pour la production des aliments de base, dont nous ne pouvons nous passer. La situation deviendrait donc critique si nous nous trouvions face à une pénurie de céréales. Surtout dans le tiers-monde.

Nous avons besoin d’aliments de base. Il n’y a pas d’autre alternative.

terraHORSCH: Quels sont les facteurs qui pourraient engendrer une pénurie?
Michael Horsch:
Cela fait des décennies queles météorologues ont prédit le changement climatique et la multiplication de phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes, tels que les sécheresses, les canicules, les précipitations intenses et les vents violents. Nous voilà désormais devant les faits : les pronostics des scientifiques se sont avérés justes. Ces cinq dernières années, les phénomènes météorologiques extrêmes se sont multipliés et ils gagnent même en intensité. L’impact de tels événements sur les récoltes est significatif, qui plus est dans les grandes régions céréalières.
Face à ces phénomènes, on ne parlera désormais plus que rarement de “récoltes records”. Il y a naturellement des pays qui profitent de ces changements climatiques, comme l’Ukraine par exemple. Les mois de juin et juillet sont désormais plus pluvieux qu’une vingtaine d’années en arrière et cela s’accompagne également d’une baisse des températures. Cependant, la majorité des terres agricoles mondiales sont victimes du changement climatique, et l’Europe est plus que concernée.
Cette année nous a rappelé une fois encore l’impact des phénomènes climatiques extrêmes sur le niveau des récoltes. Il y a trois mois, l’ouest du Canada a été frappé par un épisode caniculaire marqué par des températures avoisinant les 45- 50°C à l’ombre. Comme les sols étaient humides, les agriculteurs avaient parié cette année sur de très bonnes récoltes de blé et de colza d’été. Mais il en a été tout autrement. La canicule a généré des pertes très importantes. En conséquence, le prix du colza s’est littéralement envolé. Au Brésil, la récolte de maïs s’est avérée 30% inférieures aux prévisions. La quantité mais aussi la qualité des récoltes ont été durement impactées par la météo. L’Europe quant à elle, est touchée par des pluies intenses et des inondations de plus en plus fréquentes tandis que les Etats-Unis ou le Canada sont confrontés à des épisodes de canicule et de sécheresse extrêmes. On en ressent ensuite les effets logiques: les récoltes sont moins importantes tandis que la demande et les prix augmentent. Du point de vue des agriculteurs, cette situation peut être considérée d’un angle à la fois positif et négatif puisqu’il sera certes de plus en plus difficile d’obtenir de bons niveaux de rendement mais on pourra vendre à un prix plus élevé. En parallèle de cela, le prix des engrais et d’autres matières premières comme le pétrole augmentent aussi. Il faut s’attendre également à une hausse des prix des fermages, qui mettront ensuite un certain temps à redescendre, comme nous l’avons déjà vécu par le passé. Les agriculteurs tentent donc de sécuriser leurs rendements et de maintenir un parc machines très polyvalent. Cela leur permet de pouvoir réagir de manière la plus optimale possible en fonction des conditions du terrain en recourant à des outils de préparation de sol et de semis adaptés. C’est une condition essentielle pour assurer de meilleurs niveaux de récolte et de rendement. Et il ne faut pas oublier que la hausse des prix des fermages entraîne mécaniquement une revalorisation de la valeur à neuf des machines agricoles.

terraHORSCH: Il y a-t-il encore d’autres facteurs responsables de la hausse des prix?
Michael Horsch:
La pandémie de Covid-19 et le prix élevé du pétrole ont évidemment un impact sur le prix des céréales. La question est la suivante : dans quelle mesure cette influence s'exerce-t-elle exactement. Quelle est la probabilité que nous nous soyons trompés en sous-estimant l’effet du changement climatique et que nous soyons effectivement confrontés à une pénurie ?

Grâce à l’agriculture hybride, il est envisageable de pouvoir faire face également à une pénurie alimentaire.

terraHORSCH: Qu’entendez-vous par “trompés”
Michael Horsch:
L’USDA (United States Department of Agriculture, Ministère de l’Agriculture américain) publie un rapport mensuel concernant les prévisions de stocks de céréales et l’état prévisionnel de l’offre et de la demande sur le plan mondial. Dans le cadre de ces rapports, le ministère recense depuis environ 50-60 ans l’impact moyen de différents facteurs, tels que par ex. le nombre d’événements climatiques extrêmes s’apparentant à El Niños (épisodes de pluies intenses) ou aux épisodes de sécheresse. Il établit ensuite une corrélation entre ces phénomènes et l’état des ventes et des stocks. Tous ces éléments alimentent les statistiques qui agrègent aussi les chiffres des cinq dernières années. De fait, les données des cinq dernières années n’impactent que très faiblement les statistiques globales car elles sont noyées dans la masse avec les valeurs des 50-60 années. Si l’on considère uniquement les données des dernières années, on voit immédiatement qu’un changement très significatif s’est opéré.
Les événements des deux dernières années nous poussent à croire que les statistiques et les hypothèses sont erronées. Considérons par exemple l’hypothèse selon laquelle la Chine possède des stocks faramineux de maïs et de soja. Pourquoi la Chine a-t-elle dans ce cas acheté tant de maïs et de soja durant la pandémie de Covid-19, alors même que les prix avaient doublé ? On peut donc supposer qu’elle n’a en fait plus de stock. En regardant de près comment sont établies ces statistiques, on comprend rapidement où se situe le problème. Il ne faut effectivement pas oublier que l’USDA est une agence gouvernementale qui exerce une influence plus ou moins relative sur les marchés financiers. Prenons un exemple tiré de mon expérience personnelle : au mois de juillet, j’étais en contact avec de nombreux agriculteurs européens. Ces derniers, toute ma famille, mes fils et moi-même avons estimé que nous atteindrons des récoltes records cette année. Nous avons eu un mois de mai humide et frais ainsi qu’un mois de juin plus frais et également humide. Lorsque nous sommes allés dans les champs pour regarder de près la taille des grains dans les épis, nous nous sommes dits la chose suivante : ils ne sont certes pas très gros, en revanche les épis sont nombreux. Quatre semaines plus tard, c’était la désillusion. Le niveau de rendement s’est avéré bien moins élevé que prévu. On ne peut pas dire que cela ait été une mauvaise récolte en soi mais elle a été décevante par rapport à nos prévisions. En considérant toutes les pertes subies cette année - et également les prix qui sont de nouveau à la baisse, il nous faudrait deux années d’affilée de récoltes records sur le plan mondial afin de pouvoir retrouver des niveaux de stocks équivalents aux valeurs publiées par l’USDA en 2019 afin de couvrir la demande.
Désormais, je m’interroge donc sur la capacité d’une instance gouvernementale à estimer et communiquer des statistiques à l’avance sur ce qu’il va se passer, alors que nous ne sommes, en tant qu’agriculteurs, même plus en mesure de faire des prédictions fiables sur la base de notre expérience ! Nous aussi, nous nous sommes fourvoyés. Nous devons l’accepter et nous faire à l’idée que nos prévisions de rendement seront toujours davantage impactées par des phénomènes climatiques extrêmes et imprévisibles.

terraHORSCH: Quelles seraient les solutions envisageables afin de limiter les pertes de récolte d’un point de vue qualitatif et quantitatif?
Michael Horsch:
En tant qu’Allemand et Européen, il faut évidemment considérer cette problématique dans le cadre de la politique agricole commune. Jusqu’ici, nous nous sommes engagés par exemple sur la voie de l’écologisation de l'agriculture. C’est une vision que nous partageons également chez HORSCH. Il est cependant nécessaire de rester autocritique et de se demander : est-ce toujours la bonne voie ? L’écologisation grandissante risque de nous confronter à une réduction de la quantité de céréales disponibles à la consommation, conduisant à la poursuite de la hausse des prix. D’un point de vue sociétal, environnemental et de l’équilibre des nappes phréatiques, l’agroécologie se justifie complètement.
Si l’on prend en compte les prix, les conflits géopolitiques et la situation des pays du tiers-monde, qui ne peuvent plus faire face à ces hausses constantes, il est cependant nécessaire de considérer la situation différemment. Sinon, cela pourrait entraîner des vagues migratoires supplémentaires. Il s’agit certes d’un scénario hypothétique que nous décrivons ici, mais qui peut dire que celui-ci ne se réalisera pas et que la réalité ne nous rattrapera pas tôt ou tard ?
Selon moi, il est primordial de promouvoir une agriculture hybride. Cela signifie qu’il ne faut pas abandonner complètement la dimension agroécologique mais il faudrait plutôt raisonner en terme de “maximisation de l’apport calorique”. Plus on incitera les gens à penser que l'agriculture biologique est le remède unique contre la destruction de notre planète, plus on produira l’effet inverse. Et il ne doit pas en être ainsi. Si l’on mise en revanche sur une solution hybride, qui allie agriculture conventionnelle et biologique, il sera possible de pouvoir faire face également à une pénurie alimentaire.
Par ailleurs, en référence au contenu du rapport sur “l’agriculture du futur”, élaboré pour le compte du ministère allemand de l’alimentation et de l’agriculture*, on doit inciter les gens à réduire leur consommation de viande. Cette recommandation se justifie sur le plan de la santé et du climat mais également au regard des risques de pénurie alimentaire.
Un autre point me semble également important: l’avenir de l’agriculture ne doit pas passer uniquement par la digitalisation. Je pense qu’il est primordial de s’intéresser à la microbiologie car elle nous donnera sûrement bien plus de pistes pour répondre aux défis d’aujourd’hui et de demain en matière de production alimentaire: produire mieux et davantage. C’est l’objectif qui est au cœur de l’agriculture hybride. Sans oublier les engrais et la chimie, qui permettent de faire fonctionner le système. C’est pour moi l’équilibre optimal. Nous devons sortir d’une vision manichéenne de l’agriculture.

* La rédaction de ce rapport a donné lieu à une réflexion multipartite, impliquant également des ONG et différents acteurs issus de la protection de l’environnement, de l’industrie chimique et de fédérations agricoles afin de définir une vision et des objectifs commun pour l’avenir de l’agriculture