Home » Numéro 28-2024 » Ils l’utilisent, ils en parlent » Comment les agriculteurs américains font-ils face aux difficultés économiques actuelles ?

Comment les agriculteurs américains font-ils face aux difficultés économiques actuelles ?

Ces dernières années, l’économie agricole américaine a bénéficié de la hausse des prix. En 2024, l’accélération de l’inflation, la hausse des taux d’intérêt, l’augmentation du coût et du manque de main d’œuvre et la baisse des prix des produits ont des répercussions économiques majeures sur le secteur agricole.

Nous nous sommes entretenus avec plusieurs agriculteurs américains sur la manière dont l’économie actuelle les affecte et les stratégies qu’ils mettent en œuvre pour enchaîner ces cycles économiques.

Ty Brown, Indiana

Pour Ty Brown, qui cultive du maïs, du blé, du soja et des couverts végétaux dans l’Indiana, « lorsque nous sommes confrontés à des ralentissements de l’économie agricole, comme actuellement, plusieurs attitudes sont à adopter - mais en premier, il faut se concentrer sur les fondamentaux. Trop souvent, les agriculteurs ne veulent pas changer. Ils espèrent que les marchés reviendront à des prix élevés et que les problèmes disparaîtront. Il faut prendre du recul et évaluer son exploitation rationnellement. Pour trouver les réponses, nous devons être prêts à nous adapter et à faire preuve d’agilité. »

Ty souligne qu’il est important d’être stratégique pour naviguer tant en périodes fastes, qu’en périodes de ralentissement de l’économie agricole. Le premier point concerne la commercialisation des céréales. « Le fait d’avoir notre propre installation de stockage nous place en meilleure position pour optimiser les ventes et augmenter les revenus de nos cultures. » Ty précise que les premiers investissements réalisés au début de sa carrière d’agriculteur concernaient le stockage des céréales. De solides relations avec les négociants en grains, ainsi que la conclusion de contrats à l’avance sur le marché, augmentent les revenus en période de volatilité. « Le fait d’avoir le contrôle physique de vos céréales vous donne plus de flexibilité pour maximiser vos revenus. À long terme, le stockage et la manutention des céréales vous permettent d’atteindre cet objectif. »

Pratiquer la politique de l’autruche et ne pas investir en période de ralentissement n’est pas toujours une bonne chose. Il faut avoir à l’esprit l’augmentation du coût des intrants, de la main d’œuvre et des taux d’intérêt. « Lorsque les taux d’intérêt sont bas, il est bon d’être riche en actifs. Mais lorsque les taux d’intérêt augmentent, il faut investir pour obtenir un véritable retour sur investissement. L’un des principaux problèmes auxquels le pays tout entier est confronté, est la disponibilité de la main d’œuvre. Si un investissement est réalisé pour réduire la quantité de main d’œuvre tout en assurant l’efficacité du travail, c’est une bonne opération. Il faut faire preuve d’intelligence. Par exemple, l’utilisation d’un semoir monograine à grande vitesse plutôt que deux semoirs monograine classiques élimine un tracteur, réduit la main d’œuvre et évite le recours à un semoir supplémentaire. Cette année, nous avons investi dans une bineuse Transformer qui, dans la rotation des cultures, réduira considérablement le coût des produits chimiques. »

L’agilité de l’exploitation est une stratégie importante à long terme. « Il y a une grande différence de capacité d’investissement entre un taux d’intérêt de 3% et un taux de 8%. Il faut envisager de liquider tout actif improductif de l’exploitation. Avez-vous un vieux tracteur ou une vieille machine que vous n’utilisez pas ? Si oui, il faut s’en débarrasser. Un investissement improductif vous coûte de l’argent ». Ty aborde avec pragmatisme la diversification des revenus. « Aujourd’hui, l’une des grandes différences par rapport à la crise agricole des années 1980 aux Etats-Unis réside dans les compétences et l’éducation des jeunes agriculteurs. Nombre d’entre eux sont allés à l’université, ont obtenu des diplômes agricoles et peuvent utiliser ces compétences pour créer des activités en dehors de l’exploitation. Le conseil en agronomie, la commercialisation des céréales, voire du travail en prestation (ETA) peuvent apporter un revenu supplémentaire lorsque les marchés sont moroses. L’une des choses les plus importantes que nous envisageons est d’introduire des cultures sans OGM et de réduire l’utilisation des produits chimiques. Non seulement nous pouvons commercialiser la récolte à un prix plus élevé, mais nous bénéficions également d’une réduction du coût des intrants. Tout est une question de marge », ajoute Ty.

Kam Koompin, Idaho

Kam Koompin, est un producteur de pommes de terre et de céréales dans l’Idaho. Bien que les cultures de cet Etat de l’Ouest sont différentes de celles d’autres régions, la période économique actuelle affecte les agriculteurs de manière similaire. « Nos marchés sont quelque peu différents car nous nous concentrons sur les pommes de terre, notre culture principale. La rotation de nos autres cultures comme le blé, l’orge, le maïs et la moutarde est basée sur nos pommes de terre », explique Kam. « Sur ces marchés, nous avons eu trois bonnes années. La situation sera différente en 2024 et 2025 car les prix de toutes les cultures ont baissé. Cependant, nos actions s’inscrivent dans un plan à long terme pour gérer ces cycles ».

Kam aborde notamment la question des taux d’intérêt. « L’histoire se répète. Pour la génération X et les Millennials, la génération Y, les taux d’intérêt ont toujours été bas. Au fil des années, nous avons travaillé, et développé nos activités, avec des taux d’intérêt de 3 à 4%. Maintenant, avec des taux d’intérêt de 7 à 8 % pour l’opérationnel et l’investissement, c’est un nouveau challenge et nous devons être plus stratégique. Quand on dit que l’histoire se répète, il est important de parler avec les anciennes générations d’agriculteurs pour découvrir comment ils ont traversé les années 1980 notamment, lorsque les taux d’intérêt étaient à deux chiffres. »

Ainsi, Kam expose comment une stratégie d’investissement à long terme a aidé l’entreprise familiale. « Préservez les bons moments, vous aurez besoin de ces liquidités pour l’avenir. Investissez dans ce qui offre un vrai retour sur investissement et qui améliore l’efficacité de votre exploitation. Il y a beaucoup de possibilités. Concernant les outils de la « Data », il faut se demander si c’est vraiment rentable. Avec notre rotation des cultures, nous avons investi dans le stockage des pommes de terre pour contrôler notre commercialisation. Nous envisageons d’investir davantage dans le stockage des céréales pour avoir encore plus de souplesse. Une meilleure maîtrise de la commercialisation sécurise les revenus de nos cultures, ce qui constitue un véritable retour sur investissement. De même, rendre l’exploitation plus efficiente a été déterminant pour nous. Nous avons continué à faire évoluer tous les ateliers de notre exploitation, du travail du sol au semis, de la production de pommes de terre au stockage. Chaque étape, franchie année après année, nous place en meilleure position pour faire face à des périodes économiques comme celle que nous connaissons. Il faut savoir rester simple et efficace”.
Kam poursuit : « Alors que de nombreuses régions agricoles sont confrontées à des problèmes de coût et de disponibilité de la main d’œuvre, nous avons eu de la chance ici. Avec notre rotation de cultures, nous sommes occupés toute l’année. Nous gérons beaucoup d’irrigation et assurons la livraison des récoltes. Nous conservons plus de main d’œuvre à temps plein grâce à un flux de travail régulier sur l’année. En particulier avec les pommes de terre et l’irrigation, il y a beaucoup de travail pendant et après la saison. »

John Wilson, Ohio

John Wilson, cultive du maïs et du soja dans l’Ohio : « Une chose à souligner dans les périodes de ralentissement, ainsi qu’en périodes de forte demande, c’est qu’il faut garder le contrôle. Lorsque la conjoncture est bonne, prenez vos bénéfices et investissez dans l’achat de terres. Si vous n’avez pas de terres sécurisées, vous courez un risque. Sans terre, vous ne pouvez pas cultiver. C’est aussi simple que ça. Ce doit être l’objectif année après année, au fur et à mesure de l’agrandissement de votre exploitation », indique John.

La question de la maîtrise de la situation, va bien au-delà de la sécurisation des terres.  « Garder le contrôle inclut de nombreux aspects de l’activité agricole. Le stockage des céréales permet de garder la main sur leur commercialisation. Il faut également maîtriser les points critiques de l’exploitation comme la gestion de la fertilité, le semis et la pulvérisation. Au fil des ans, j'ai constaté qu'une erreur de la part d'un entrepreneur m’a fait perdre du rendement, donc des revenus. Lorsque les marchés sont en baisse, cela peut anéantir une exploitation. Il faut investir pour être aussi autonome que possible », déclare John.

« Nous sommes une exploitation familiale et nous investissons là où cela fait sens. Comme mentionné précédemment, nous investissons dans les terres mais aussi pour compenser le manque de main d’œuvre disponible. Nous recherchons des machines productives capables d’optimiser chaque heure passée dans le champ et de maintenir un haut niveau d’efficacité. Nous avons déjà parlé des investissements dans le stockage des céréales pour obtenir de meilleurs prix de base. C’est stratégique car l’économie agricole connaîtra toujours des hauts et des bas. Il faut également investir pour vos rendements. Dans une économie agricole en baisse, ne vous privez pas d’un potentiel de rendement maximal. Économiser en investissant moins dans le rendement vous nuira à long terme. »

Un autre point essentiel pour John est d’entretenir de bonnes relations avec les partenaires. « En tant qu’agriculteurs, nous mobilisons tous des ressources extérieures. Avoir confiance en ces ressources, dans les bonnes périodes mais aussi dans les moments difficiles, est essentiel pour assurer le succès à long terme. Nous avons de longue date de nombreux propriétaires pour les fermes que nous louons. Ces relations sont très importantes pour la stabilité et la croissance de notre exploitation. Au global, nous avons de nombreux partenaires : nos banquiers, les concessionnaires avec lesquels nous travaillons, les fabricants de matériels, les entrepreneurs que nous engageons de temps en temps, nos conseillers pour la commercialisation des céréales, nos assureurs, etc. Toutes ces relations et la confiance qui se construisent avec eux nous aident à être stables dans les périodes de marchés baissiers. »