Home » Numéro 27-2023 » Centre de formation » Un glacier dans ma parcelle

Un glacier dans ma parcelle

Dans un monde où tout va plus vite et où l’exigence de performance est accrue, il est difficile de s’arrêter et de prendre le recul suffisant sur son activité et d’adopter un point de vue macro. Pourtant, la compréhension de ce qui se joue actuellement dans le monde peut grandement aider notre secteur d’activité et nos prises de décision.

Les produits phytosanitaires concentrent souvent toutes les attentions. Celles du grand public d’un point de vue environnemental, mais également les nôtres d’un point de vue économique et technique. On estime bien souvent qu’ils sont la composante d’un rendement réussi en céréales et en cultures en rang comme le maïs. Pourtant, nous le savons bien, constructeurs tout comme agriculteurs : le climat et ses aléas, le manque d’eau (ou l’inverse !), la grêle sont les facteurs les plus limitants.

Une étude menée par Biochem & Mol Biol Plants, Buchanan, Gruissem, Jones et l’American Society of Plant Physiologists sur l’impact des différents stress sur les rendements finaux en maïs, blé, soja, sorgho, orge et avoine vient corroborer ce constat de terrain : les stress abiotiques ont bien plus de pouvoir que leurs homologues biotiques. On entend par stress abiotique, tous les freins à la croissance constitués par des situations extrêmes par exemple, sécheresse, excès d'eau, températures anormalement basses ou hautes et par stress biotique, toutes les attaques effectuées par des organismes vivants tels que les champignons, des bactéries, des insectes ou des mauvaises herbes. Ainsi, aux Etats-Unis, alors que les champignons et autres adventices n’ont un effet que de 5 à 10 % sur le rendement de chacune des cultures citées, le changement climatique impacte sur un pourcentage oscillant entre 66 et 82 %.
Pourtant, quels sont les efforts menés par la recherche sur la manière de préserver les rendements en cas d’aléa climatique, et notamment de manque d’eau ?
La glaciologue Heidi Sevestre est intervenue lors de la journée du changement climatique organisée par la société Elicit Plant. Pour vous, elle lie de manière concrète l’épiphénomène de la fonte des glaciers au dérèglement climatique et, in fine, à l’activité agricole. Avec son sourire et sa bonne humeur, elle expose un point de vue glaçant. terraHORSCH vous propose un récapitulatif de cette intervention.

Je viens du futur et mon pays s’appelle svalbard

Heidi Sevestre habite dans l’Arctique, dans une région où, forcément, on ne retrouve aucune culture de céréales : le Spitzberg. « C’est un archipel dominé par les glaces. Le sol y est gelé en permanence. C’est le paradis des glaciologues, où résident plus d’ours polaires que d’êtres humains, dépendant directement de la banquise. Là haut, nous habitons le village de Longyearbyen, dans l’épicentre du dérèglement climatique. Saviez-vous que l’Europe se réchauffe plus vite que la moyenne planétaire ? Eh bien pour le Svalbard, c’est 5 à 6 fois plus vite que la planète. Les températures y ont augmenté de 3 à 5 degrés depuis les 50 dernières années. Nous avons l’impression de vivre dans le futur, et nous voyons les conséquences de ce réchauffement au quotidien : fonte, avalanches, pluies en hiver. La raison pour laquelle la région fond aussi vite ? Plus une banquise est étendue et vieille, plus elle est blanche et réfléchit les rayons du soleil, ce qui permet de refroidir la planète. Nous avons besoin de ces surfaces blanches, or, depuis plusieurs décennies, nous la réduisons en poussière. Il y a quelques mois, une étude scientifique est sortie : d’ici 2030, on risque de voir des étés sans banquise. On franchit petit à petit des points de bascule climatique. 

De l’importance des glaciers

Heidi poursuit : « Comment est-ce que le monde que j’étudie, ce monde des glaciers est directement connecté à vos activités ? Le fil rouge qui nous rejoint tous dans cette salle, c’est l’eau. On n’irait pas loin sans l’eau. L’eau est en train de se prendre le changement climatique en pleine face aujourd’hui. Représentez-vous nos ressources en eau, nos fleuves, les artères de notre pays. Cette eau, c’est la vie, ce qui anime nos activités au quotidien. On s’est habitué à avoir certains moments de l’eau, de la pluie et des réserves souterraines. Mais cela est en train de changer. Ce qui est le plus frappant, c’est le recul des glaciers, à l’image de celui du Trient dans les Alpes suisses. C’est le meilleur baromètre du climat. L’augmentation du CO2 on la mesure, certes, mais on ne le voit pas, un glacier qui recule, oui.  Avec ces glaciers qui disparaissent, disparaissent les châteaux d’eau potable naturels. D’où vient l’eau européenne ? Des montagnes notamment. L’eau nous sert énormément : eau pour boire, pour créer de l’hydroélectricité, pour refroidir nos centrales nucléaires, pour le tourisme et pour l’agriculture. Chaque tonne de CO2 émise dans l’atmosphère fait fondre les réserves en eau et en neige. Nous n’avons aucun doute sur le fait de perdre les glaciers des Pyrénées. D’ici la fin du siècle, nous serons également témoins de la disparition des glaciers alpins. »

Ils fondent, elles valsent

« La manière dont les vents évoluent sur notre planète, entre l’Europe et l’Arctique dépendent en partie d’un Arctique gelé. Quand c’est le cas, nous pouvons discerner ce que l’on appelle le Stable Polar Vortex. Pour simplifier, plus l’Arctique est froid, plus les vents tournent rapidement. Cela provoque les saisons. » explique Heidi Sevestre. Ce que l’on appelle le Jet Stream, composé de courants polaires et subtropicaux, permet en effet un déplacement des phénomènes météorologiques de manière régulière, d’ouest en est en Europe. Les basses pressions sont synonymes de temps pluvieux et venteux, lorsque les hautes pressions sont liées à des conditions claires. Le Jet Stream est responsable du cycle d’anticyclones et de dépressions qui composent nos saisons.

Or, l’écart de température entre l’Arctique et l’Europe s’amenuise. « Plus l’écart de température diminue, plus les vents ralentissent. Et comme une rivière qui se met à ralentir, les vents commencent à créer des méandres. On peut avoir des masses d’air qui viennent du sud vers le nord, comme c’est le cas lors de périodes chaudes et sèches, ou des masses d’air qui viennent de l’Arctique, provoquant des gels précoces ou tardifs. Et ces conditions peuvent rester bloquées pendant des jours, voire des semaines. » Ainsi, un anticyclone peut rester longtemps au même endroit. En fonction de l’endroit où vous vous situez, vous aurez soit une situation de canicules ou de sécheresse sous l’anticyclone, soit des pluies intenses sur le front météorologique, et ce pendant des semaines. « Régulièrement, allez sur windy.com qui montre l’évolution des vents sur terre. Ce Jet Stream, dont les méandres sont de plus en plus prononcés, nous montre à quel point la météo est en refonte totale. » Les saisons que nous avons connues valsent. Un nouveau référentiel est en train de voir le jour.
Attention toutefois, Heidi précise que l’expression du changement climatique n’est pas la même partout. Le « weavy Jet Stream » parcourt la terre entière. Certaines régions risquent d’être plus sujettes aux périodes froides quand d’autres vont avoir plus de chaud. Ces nouveaux courants éoliens amènent le chaos. A noter que les régions qui subissent le plus le changement climatique ne seront pas toujours les plus vulnérables. Les cartes de la sécurité alimentaire sont rebattues sur le long terme, comme le souligne les travaux du GIEC en 2023.

Moins d’eau… plus d’eau ?

« La fonte des glaces conjuguée à une augmentation de la température des océans va provoquer une augmentation du niveau des mers, ce n’est pas nouveau. Le niveau des mers augmente de 3 à 4 mm par an. Mais ce chiffre peut évoluer à la hausse avec la fonte du Groenland et de l’Antarctique, qui sont les plus grosses réserves de glace continentale sur terre. » A l’heure actuelle, le Groenland perd plus de glace en été qu’il n’en gagne en hiver, son bilan de masse est donc négatif.  « Le niveau des océans augmente en conséquence. 6 à 7 mètres d’augmentation global du niveau des mers sont à prévoir à terme avec la fonte totale du Groenland. Et si l’Antarctique perdait toute sa glace également, 58 mètres sont envisageables. A la fin du siècle, au meilleur des cas, nous constaterons 50 cm d’eau en plus. Mais on se rend compte que cela risque d’évoluer bien plus vite. »
Cette augmentation d’eau n’est pas sans impact sur la circulation océanique qui régit aussi le climat. Pour que les courants fonctionnent bien, il faut des écarts de température au niveau de l’eau et des écarts de salinité, de densité, également. L’eau des régions polaires se réchauffe plus vite qu’ailleurs, et les glaces adoucissent les eaux. On constate ainsi un ralentissement de la circulation de ces eaux océaniques. Le climat tel qu’on le connait va en être largement bouleversé.

Le co2 fait fondre les glaciers et le permafrost…qui degagent du co2

« Avec le réchauffement climatique, les sols perpétuellement gelés de l’Arctique, appelés permafrost, sont en train de changer. » Gardons en tête que 25 % de l’hémisphère nord est constitué de ce type de sol. Or, ces sols, lorsqu’ils dégèlent, dégagent une quantité importante de CO2, mais également de méthane, capable de réchauffer le climat 80 fois plus fortement que le CO2. « Aujourd’hui, il semblerait que le dégel du permafrost émette autant de gaz à effet de serre que le Japon. En 2100, ce sera potentiellement autant que l’Inde, l’Europe, voire même que les Etats-Unis, en fonction du nombre de degrés supplémentaires atteints. Il va falloir composer avec les émissions du permafrost. Autre phénomène corollaire ? Il y a de nouvelles terres qui risquent de devenir disponibles. »

Un impact important sur l’agriculture

Selon le rapport du Giec de 2020, en 2060-2080, 59% de terres arables supplémentaires seront en théorie disponibles. La Russie semble promise à un bel avenir, avec une expansion des terres agricoles, notamment pour la production de blé, en Sibérie, tout comme le Canada, qui possède lui aussi une bonne partie de permafrost promis au dégel et à des températures plus clémentes. « Mais toutes ces terres sont des puits de carbone, et il s’agit de les garder intactes pour limiter le réchauffement climatique et, in fine, conserver notre capacité à conserver un niveau de sécurité alimentaire suffisant. »
Certes, le réchauffement climatique va donner du pouvoir aux agriculteurs des pays de l’hémisphère nord, mais la moyenne internationale des rendements va chuter, dans un contexte où la population humaine continue de s’accroître. Les flux migratoires vont également s’intensifier, du fait de ce glissement des terres arables et des potentiels de rendement. Pour ces raisons, il est urgent de limiter le réchauffement, et donc de limiter l’impact de l’agriculture sur ces nouvelles terres disponibles.
Au délà de se concentrer sur l’aspect macro, il est évident que le réchauffement climatique, en perturbant les saisons, complique les cycles de développement végétatif des cultures traditionnelles. Nous aurons peut-être le même niveau de pluviométrie annuelle (pas certain !), mais avec des phénomènes météorologiques extrêmes sur de longues périodes : gel, sécheresse, inondations.
Rappelons, comme en début d’article, que la majorité des dépenses engagées en recherche et développement le sont sur des herbicides et fongicides, alors que c’est précisément le changement climatique qui impacte les rendements sur un pourcentage oscillant entre 66 et 82%.
De nouveau, la question de début d’article nous revient en tête : quels sont les efforts menés par la recherche sur la manière de préserver les rendements en cas d’aléa climatique, et notamment de manque d’eau ?

Est-il deja trop tard ?

« Que faut-il faire ? il faut se battre pour chaque fraction de degrés. Les actions que l’on met en place aujourd’hui vont apporter des bénéfices bien avant 30 ans. Si nous lâchons l’affaire et atteignons les +3 degrés, nous pouvons certainement considérer que de nombreux points de non retour des écosystèmes seront franchis. Les dernières études scientifiques par exemple semblent nous montrer qu’au-delà de 2 degrés d’augmentation de température le Groenland risque de commencer une déstabilisation irréversible (tout comme l’Antarctique Ouest, une grande partie des récifs coraliens tropicaux, du permafrost de l’hémisphère nord, la glace de mer de la Mer de Barents et une grande partie de nos glaciers de montagne). La disparition de ces écosystèmes risque de catalyser encore plus le changement climatique. Mais il faut se battre pour chaque arbre, chaque prairie, chaque puit de carbone. Chaque dixième de degré qu’on ne gagne pas est bénéfique pour TOUT, eau et sécurité alimentaire. Il faut décarboner. Rassurons-nous : les gouvernements, les entreprises font des efforts. » Le précédent article terraHORSCH sur l’agrivoltaïsme est un bon exemple. Nous devons persévérer dans cette voie. « L’agriculture fait partie du problème, comme nous tous. Mais l’agriculture est aussi une solution ! » conclut Heidi Sevestre.

Conclusion

Chez HORSCH, nous constatons également des évolutions au niveau des itinéraires culturaux. Ceux-ci prennent de plus en plus en compte les risques liés au changement climatique. Dans certaines régions, le semis direct sera privilégié pour sauvegarder l’humidité du sol. Nos solutions Focus sont largement utilisées pour répondre à des problématiques de gestion des réserves en eau, de sécurisation des implantations de colza en conditions sèches, ou encore de placement de l’engrais sur différents horizons afin d’assurer sa disponibilité en cas d’assèchement des horizons superficiels.
Les exigences liées au travail du sol tendent vers plus de polyvalence (mélange intensif, travail superficiel, fissuration, localisation des engrais) et de précision afin de pouvoir répondre aux différentes situations climatiques. Nous constatons également une tendance vers un débit de chantier augmenté afin de sécuriser les plages de travail optimales, qui tendent à se resserrer.