Home » Édition 18-2019 » Ils l’utilisent, ils en parlent » Regarder loin, c’est regarder tôt: Agro KMR (UA)

Regarder loin, c’est regarder tôt

Agro KMR (UA)

Suite à l’article paru dans le magazine terraHORSCH n°14, nous avons souhaité nous rendre à nouveau sur l’exploitation Agro KMR basée en Ukraine. Jean-Paul Kihm nous livre ici quelques confidences.

Cette fois-ci, l’objective est de découvrir les questionnements de la société sur la gestion de ses cultures et de ses itinéraires techniques : faut-il opter pour le CTF en voie de 12 mètres ou de 18 mètres ? L’allongement des rotations est-il nécessaire ? Doit-on miser sur le semis direct plutôt que sur d’autres méthodes ? Autant de réflexions qui s’appuient sur un seul et même objectif : l’optimisation. Agro KMR est une exploitation souvent innovante.

Une imagination sans limite

Rappelons qu’Agro KMR est avant tout une histoire d’hommes : quatre agriculteurs français, Jean-Paul Kihm, Jean-Loup Michel Alan et Florent Renard ont créé Agro KMR en 2006 près de Pavlohrad. L’entreprise emploie 50 salariés et cultive 12 000 hectares dont 6 000 de blé, 3 000 de colza et 3 000 de tournesol. Les 4 amis ne se fixent aucune limite et leur imagination fertile leur ouvre de nombreuses pistes : augmentation de la surface exploitable, diminution des charges de mécanisation, agriculture à passages raisonnés, investissement dans la recherche et le développement, réflexion sur les rotations, la logistique, les itinéraires culturaux... Et pourquoi pas une meilleure formation de leurs chauffeurs, le StripTill, un CTF mieux maitrisé ? Toutes les solutions sont étudiées.

Jean-Paul Kihm est catégorique : « Notre philosophie est claire : une exploitation agricole n’a pas lieu d’être si celle-ci ne permet pas de dégager un revenu suffisant pour ses propriétaires et ses salariés. Les cultures choisies doivent donc être rentables et les charges limitées à leur maximum. Nous n’oublions pas, par ailleurs, que pour perdurer, l’entreprise doit respecter ses ressources agronomiques et humaines. C’est un tout ! Et pour atteindre ces objectifs, toute idée intéressante doit être testée ».

Optimiser sa logistique et diminuer ses charges

De cette évidence découle l’ensemble du projet mené par Agro KMR. « Nous avons décidé il y a de cela quelques années de tester le Controlled Traffic Farming (agriculture à passages raisonnés). Nous avons choisi d’optimiser seulement les passages du pulvérisateur et de l’épandeur à engrais car ce sont les outils nécessitant de très nombreux aller-retour dans les parcelles.  Nos terres sont en effet composées de tchernoziom, soit 60% de limon, 30% d’argile et un peu de sable. Ce sont des terres très sensibles à la compaction. Les premières années, avant notre optimisation des voies de passage, nous utilisions un épandeur à engrais qui possédait des roues à profil routier. Il traversait les parcelles selon des trajectoires aléatoires (des trajectoires non optimisées qui compactaient le sol - voir à ce titre l’encart « Controlled Traffic Farming »). Nous retrouvions à la moisson ces traces. Le CTF nous a permis de diminuer la compaction de nos sols et d’améliorer le développement homogène de l’ensemble des plantes semées en réduisant les voies de passage dans les parcelles ».

Outre cet aspect agronomique, les gains économiques sont multiples :

  • Gain global espéré d’environ 13 % sur la marge nette au semis sur l’ensemble des charges tant opérationnelles que de structure (selon des études américaines, canadiennes et australiennes, le gain global espéré englobe les économies sur les efforts de traction, les économies engendrées par la moindre compaction, l’efficience accrue des engrais etc. C’est un ensemble très large qui regroupe des facteurs multiples)
  • Gain mécanique car la force de traction nécessaire est moindre
  • Gain logistique : même s’il y a une coupure de GPS, les traces indiquent le chemin à suivre aux chauffeurs
  • Diminution de la consommation de gasoil
  • Charges de mécanisation moindres : la structure de sol n’étant pas dégradée, nul besoin de le travailler à outrance.

Sur la base de cette première expérience réussie, Agro KMR a choisi de pousser l’optimisation plus loin et de se lancer progressivement dans le CTF 18 mètres. Sur l’exploitation, on retrouve déjà 2 pulvérisateurs de 36 mètres, 1 Avatar 18 SD (un deuxième sera livré courant juillet), un Maestro 36 SW et un Evo encore à l’état de prototype. « Il manque encore un Cultro de 18 mètres – celui que nous avons à l’heure actuelle ne fait que 12 mètres, et une coupe de moissonneuse de 18 mètres aussi. » précise Jean-Paul Kihm. Passer à une largeur de 18 mètres est un vrai défi, notamment pour la gestion des chantiers de récolte. « Il existe peu de constructeurs de coupe de 18 mètres en raison des problématiques de répartition de la paille qui sont rencontrées. D’autre part, les vis de vidange de 18 mètres cassent car elles sont trop fragiles. Il faut donc équiper les transbordeurs de tapis qui se positionnent sous la vis de vidange. »

Beaucoup d’entre vous doivent se demander pourquoi passer au CTF 18 mètres, moins répandu dans le monde plutôt qu’au CTF 12 mètres ? Cela nécessite de gros investissements sur le long terme et une remise en question de l’ensemble de la logistique aux champs mais offre des économies substantielles : « Passer d’une barre de coupe de 12 mètres à 18 mètres ne va pas générer de problèmes au niveau des moissonneuses car leur moteur est suffisamment dimensionné ; cela ne va pas non plus impacter la vitesse d’avancement. En revanche nous allons gagner énormément en investissement/ hectare. Le CTF 18 mètres est bien plus intéressant économiquement parlant que le CTF 12 mètres ».

Le CTF n’est que la partie émergée d’une stratégie tout entière basée sur l’optimisation de la gestion des cultures. Jean-Paul Kihm ajoute : « Nous avons également investit dans une application de télémétrie qui nous permet de géolocaliser l’ensemble de nos matériels. Cela nous permet d’établir des statistiques pour caler nos investissements au plus juste. Par exemple, nous réfléchissons à une stratégie d’approvisionnement des semoirs. Nous nous sommes en effet aperçus que notre système était peu efficient et nous faisait perdre du temps au chargement. Suivant le savoir-faire du chauffeur, les temps de chargement variaient de 20 minutes à 40 minutes. Nous devrions être désormais capables d’obtenir des temps de chargement de 10 à 15 minutes, réguliers. Nous rechargerons toutes les 2 heures, comme d’habitude, mais en gagnant 240 minutes par jour. Ce sont 72 hectares qui seront semés en plus par jour, soit autant d’opportunités en plus de semer la totalité de notre assolement dans les conditions optimales, avec peut-être moins de matériels. »

Controlled Traffic Farming

Les problématiques agronomiques sont toujours à l’origine du développement des machines chez HORSCH. Diminuer la surface de la parcelle impactée par le passage du matériel agricole en définissant à l’avance les voies de passage des outils dans la parcelle (même largeur de voies, système de guidage RTK) est l’objectif du CTF ou « Agriculture à circulation raisonnée ». La localisation des voies de passage de chaque matériel, l’identification des zones d’entrée et de sortie des parcelles, les aires de ravitaillement, …. permettent d’améliorer l’organisation des travaux. La surface de la parcelle tassée par les engins passe ainsi de 80% à 19% voire 12% en fonction de la largeur du matériel.  Ce système est notamment testé à AgroVation en République Tchèque depuis l’année 2013.

L’automatisation est également un paramètre qui est étudié par Agro KMR : « Nous attendons beaucoup de l’électronique, notamment pour le réglage des vitesses, les manœuvres en bout de champ, le réglage en continu des moissonneuses. Ce sont des variables qui peuvent être impactées par le facteur humain. Par exemple, nous avons remarqué que la récolte était plus efficace le matin car les vitesses étaient plus élevées, alors que l’après-midi, sous le coup de la fatigue, le chauffeur diminuait sa vitesse. » Le travail du salarié s’en verra impacté, mais dans le bon sens. « Nous souhaitons mieux former nos chauffeurs afin que ces derniers soient plutôt des techniciens », assure Jean-Paul Kihm.

CTF, télématique, automatisation… Agro KMR a tout d’abord investi dans ces techniques grâce à son fond de recherche et développement (4% de leur chiffre d’affaires) puis les a testées pour enfin les généraliser à l’ensemble de l’exploitation. Les trois thématiques recoupent le premier pilier de l’entreprise, à savoir réduire les charges à leur strict minimum. Mais qu’en est-il de la rentabilité des cultures et de la gestion des terres sur le long terme ?

Tirer profit des spécificités locales pour mieux produire

« Une réflexion a été entamée depuis 10 ans sur la rotation des cultures à privilégier », explique Jean-Paul Kihm. « Nous avons testé plusieurs rotations, notamment avec du sorgho et du pois, selon notre expérience française. Mais nous avons aussi testé sur plus d’hectares la rotation traditionnelle ukrainienne, à savoir colza-blé-tournesol-blé. Il s’avère que cette dernière est la plus rentable économiquement. Nous pouvons nous permettre ce type de rotation car nous n’avons pas les mêmes problématiques de salissement qu’en France. Nous n’avons pas de vulpin résistant, ni de raygrass. Nous avons éventuellement de l’ambroisie mais qui peut être traitée avec un anti-dicotylédone. »

Ces trois cultures s’adaptent parfaitement à la climatologie et à la pédologie des lieux. Le tchernoziom, terre très fertile ayant une bonne capacité de rétention d’eau est un or noir très prisé. En revanche, la pluviométrie n’est que de 550 mm par an, les printemps sont souvent chauds (pics de 30 ou 35°C en mai) et ne permettent pas d’atteindre des rendements mirobolants. A titre indicatif, en blé, 40 à 50 quintaux sont récoltés par hectare en moyenne. Par ailleurs le tchernoziom reste une terre très sensible à l’érosion éolienne et pluviale.

 « A l’origine, nous avions un Joker 12 RT, un Terrano 12 FM, un semoir à dents HORSCH de 18 mètres ainsi qu’un Maestro 36 SW. Mais en raison des spécificités des terres locales, nous avons vite atteint les limites du système. Nous nous dirigeons progressivement vers le travail très superficiel, le semis direct et le StripTill. Nous avons revendu ce matériel, sauf le Maestro 36 SW, et investi dans un HORSCH Evo (prototype), HORSCH Cultro (prototype) et un Avatar 18 SD. »

L’idée de passer à la méthode StripTill leur est venue en étudiant de près la culture du tournesol. Autrefois, afin de limiter l’érosion des sols et les amas de neige, les chaumes étaient laissés en place tout l’hiver. Mais les terres couvertes de paille se réchauffent moins bien que les sols noirs au printemps et décalent de ce fait les dates de semis. Le StripTill a l’avantage de nettoyer la ligne de semis sur une profondeur de 12 à 13 cm afin de semer le tournesol dans des terres réchauffées, sans détruire tous les chaumes.

 « Nous avons choisi de tester le prototype Evo (voir à ce titre l’encart « Prototypes testés sur l’exploitation »), car c’est un outil à disques qui peut travailler en toutes situations. Un outil de StripTill à dents pénètre difficilement dans les terres très sèches, conditions que nous rencontrons habituellement à l’automne. Ses dents se déclenchent sans cesse et ne permettent pas de garder une profondeur de travail constante. Les disques ont par ailleurs l’avantage d’être moins tirants. Un outil StripTill à dents nécessitait un tracteur de 600 chevaux. Nous n’avons besoin dorénavant que de 400 chevaux. »

Seuls deux itinéraires techniques sont privilégiés sur l’exploitation afin de semer le tournesol, le blé, et le colza. Pour le tournesol, un passage d’Evo pour travailler le sol en bandes et fertiliser est nécessaire avant une implantation avec le Maestro. Les parcelles de colza quant à elles sont soit préparées avec l’Evo puis semées avec le Maestro, soit préparées avec le Cultro – double rouleau couteaux de grande largeur travaillant le sol très superficiellement et permettant de répartir les pailles immédiatement après la récolte - puis semées à l’Avatar SD. « Nous n’avons en effet pas assez de recul pour savoir lequel des deux itinéraires est le plus adapté au colza. A priori, étant donné que le climat continental offre des périodes de croissance pour la plante très courtes, un écartement à 25 cm semble plus judicieux qu’un écartement à 50 cm. Mais ce n’est pas encore quantifié ! ». Enfin, les parcelles de blé sur précédent tournesol sont uniquement préparées au Cultro puis semées à l’Avatar SD.

 « Nous souhaitons travailler le moins possible le sol car nous estimons que lorsqu’un sol n’est pas bousculé, celui-ci n’a pas besoin d’être travaillé. Par ailleurs, le travail du sol augmente les charges de mécanisation. Lorsque cela est possible, nous répartissons les pailles avec une simple herse étrilles puis nous semons en direct. Mais sur précédent tournesol, la gestion des pailles est importante afin de semer en direct du blé. En Ukraine, le ratio grain/paille du blé n’est pas le même qu’en France et les résidus sont plus abondants. Nous avons donc besoin de laisser sécher la paille juste après la moisson des blés, de la briser et de la répartir uniformément avant le semis de colza ou avant le passage de l'Evo pour semer du tournesol. Nous obtenons ainsi un paillage permanent qui maintient l’eau et la réserve utile dans le sol. Cela permet aussi de lutter contre les rongeurs. Le Cultro est l’allié idéal puisqu’il permet d’accomplir cette mission sans travailler le sol à outrance. 

Vers la standardisation

Dans tous les cas, l’objectif sur le long terme est une nouvelle fois de rationaliser les coûts :
« La puissance nécessaire pour mener les outils est désormais équivalente. 380 à 400 chevaux suffisent. Nous nous dirigeons vers une standardisation de l’ensemble du parc de tracteurs. Ainsi en cas de panne, nous pourrons les intervertir rapidement, sans nous poser de question quant à l’équipement, l’attelage ou la puissance. La polyvalence des tracteurs et des outils pour la gestion de l’ensemble des cultures, la réduction des coûts, de la consommation de gasoil, du nombre d’outils nous permet au final d’arriver à une réduction de l’investissement valeur à neuf/hectare.

Nous recherchons la standardisation pour l’ensemble des tâches répétitives ou mécaniques, à l’image du réapprovisionnement des semoirs comme évoqué précédemment. » Cette standardisation réfléchie ne sera pas appliquée aux tâches nécessitant une réflexion humaine approfondie, comme dans le secteur de l’agronomie ou de la réparation et le suivi des outils. Elle leur permettra en revanche de déplacer les compétences de leurs salariés vers d’autres domaines et de gagner ainsi en efficacité et en expertise pour, qui sait, s’atteler à de nouveaux défis.

Prototypes testés sur l’exploitation

HORSCH Cultro TC : derrière le nom Cultro se dessine une nouvelle ligne de produits déjà en phase de développement. Tiré tout droit des bonnes expériences acquises avec le rouleau couteaux du Joker 6 RT, le Cultro TC comprend deux rangées de couteaux disposées en X. La gamme comprendra des modèles de 3 à 12 mètres de largeur de travail en combinaison avec une herse de nivellement ou un rouleau. Le Cultro TC est idéal pour un premier déchaumage après récolte du colza, du tournesol, du maïs grain et sur résidus de céréales à paille. La machine travaille aussi efficacement en destruction et mélange de couverts végétaux. Peu tirant, le Cultro TC se distingue enfin par un débit de chantier élevé, un faible coût d’utilisation et une grande polyvalence d’utilisation.

HORSCH Evo : l’outil est conçu pour travailler le sol et préparer le lit de semences. Cependant, il ne travaille pas l’ensemble de la surface, mais uniquement en bandes là où sera semée la culture à venir. L’Evo intervient donc dans la méthode culturale des plantes classiquement semées en bandes, comme le maïs, le soja, la betterave sucrière ou le tournesol. L’Evo est équipé d’une seule rangée de disques qui permet de travailler intensivement une bande jusqu’à environ 10 cm en créant de la terre fine. Un engrais minéral solide peut être localisé dans la bande simultanément. La remorque semoir éprouvée du Maestro SW est utilisé comme pourvoyeur. Avec une capacité de 8 500 litres et une largeur de travail jusqu’à 18 mètres, on dispose d’une force de frappe élevée. Le système de report de charge hydraulique garantit une pénétration de chaque disque et ce, sur toute la largeur de la machine. L'Evo trouve sa place dans un itinéraire technique où la part belle est faite au travail minimal ou au semis direct. Attention toutefois : les bandes de semis doivent avoir une forme optimale pour obtenir les meilleures levées.