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Séminaire HORSCH 2019

La transformation digitale passée au crible

„Le numérique n’est pas rentable en agriculture“. Cette citation de Michael Horsch, reprise sur la page digitale d’un magazine agricole de renom, fait débat. Chercheurs et professionnels ont échangé leurs points de vue lors du séminaire HORSCH 2019.    

Salle comble à Schwandorf (Sitzenhof). C’est la première fois que les billets sont vendus exclusivement en ligne : le système a fait ses preuves. Michael Braun du service Marketing HORSCH a animé l’évènement. Alors que la plupart des intervenants ont abordé le numérique au sens large, le début de la journée était consacré à l’agronomie.

Gagner en efficacité grâce aux cultures intermédiaires

Dr. Wilfried Hartl, Directeur de l’Institut de recherche « Bio Forschung Austria », entreprend des recherches depuis 1979 sur l’agriculture biologique hors élevage. Ses recherches portent surtout sur les divers cycles naturels ; disponibilité d’éléments nutritifs et biodiversité soulevant la problématique suivante : « Comment garantir un apport d’engrais au bon moment en culture biologique ?» Il affirme que la fertilisation se fait par le sol pour ce type de culture. Au fil du temps, les plantes ont su développer des techniques astucieuses pour se nourrir de la matière organique. Il existe trois types d’organismes ayant une influence directe sur les éléments nutritifs présents dans la terre : les producteurs (de CO2 et O2), les consommateurs (animal, être humain) et les décomposeurs (faune édaphique, champignons, bactéries). Selon Dr. Wilfried Hartl, il s’agit ici des bases indispensables à la compréhension de la production biologique.

En clair : Quand on dispose de fumier, se lancer dans la culture biologique est facile. Mais qu’en est-il des exploitations sans bétail ? « En effet, si la terre n’est pas enrichie de fumier pendant deux ou trois ans, le rendement des récoltes baisse de près de deux tiers, car le sol manque d’apport énergétique », déclare Dr. Wilfried Hartl. Quand on n’a pas de bétail, quels sont les animaux qui pourraient fournir l’énergie nécessaire aux cultures ? « Les espèces terricoles sont la clé du succès », affirme le scientifique. Le sol contient de nombreuses colonies de nématodes, vers de terre, etc. « Quand on considère ces espèces terricoles comme un élevage et que l’on décide de les nourrir, il est tout à fait possible de pratiquer l’agriculture biologique sans bétail ».

En 1983, des scientifiques autrichiens ont lancé des expériences sur le compostage de déchets alimentaires. Ils ont découvert qu’en enrichissant le sol de compost qui possède une forte teneur en dioxyde de carbone, celui-ci se transforme en humus permanent et est absorbé par la terre. Est-il possible de fournir un apport supplémentaire d’humus dans le sol au travers de cultures intermédiaires ? Dr. Hartl confirme. Malheureusement, le temps est souvent très sec dans son pays natal, le sud-est de l’Autriche. Implanter des couverts y est donc difficile, mais pas impossible. Une bonne scarification peut augmenter davantage le rendement. Toutefois, il avertit qu’une culture sans labour ne garantit pas forcément un enrichissement du sol en humus !

Les êtres vivants du sol ainsi que les racines s’installent dans le volume poreux du sol. Il est donc essentiel qu’il soit d’au moins 40% à 60% d’autant qu’il prévient, entre autres, les inondations. Les zones d’humidité résiduelle sont toutefois à éviter, car le système radiculaire des plantes ne parvient pas à absorber l’eau qui y est présente. Les sols meubles d’une porosité médiane comme les sols lœssiques disposent de la plus forte capacité d’absorption d’eau. Les sols argileux ont, quant à eux, un volume de pores de 60% dont une portion de pores fins de 40% qui sont remplis d’eau stagnante. En absence de machines, il devient essentiel de mettre les organismes terrestres et les systèmes racinaires à contribution pour générer une terre légère et meuble. La végétalisation favorise également la formation de racines. Dr. Wilfried Hartl conseille d’éviter les légumineuses afin de réduire au maximum la pression infectieuse avec une tolérance de ± 20% (le choix varie fortement selon les sites).

Afin de minimiser au maximum les pertes d'eau, l’implantation des cultures intermédiaires doit se faire immédiatement après le passage de la moissonneuse-batteuse, tout particulièrement dans les régions arides. Chaque heure peut compter. Lorsque l’implantation des couverts végétaux est effectuée tardivement (au début de leur croissance) le rapport C/N est bas (<10), c'est-à-dire que la valeur fertilisante est équivalente à celle obtenue par le fumier. La phacélie en revanche affiche un rapport C/N >60 ce qui est bénéfique lorsqu’on souhaite obtenir un humus stable, mais beaucoup moins si l’humus est sensé libérer rapidement ses éléments nutritifs à destination des cultures. L’expert précise par ailleurs qu’il est indispensable de réfléchir, en amont, au résultat que l’on souhaite obtenir par la végétalisation. En conclusion : l’exploitant a réussi quand les cultures parviennent à s’enraciner dans un sol aéré !

Quelques réflexions sur le passage au numérique

Lors de son intervention, Michael Horsch, gérant de HORSCH Maschinen GmbH, a présenté les enjeux actuels auxquels se confronte le secteur agricole. En Novembre 2017 a démarré la discussion sur l’utilisation du glyphosate. Il a démontré que l’on trouvait davantage de traces de fongicides, d’insecticides et de régulateurs de croissance dans le muesli que de glyphosate. Cet herbicide se serait retrouvé dans la nourriture au travers de la siccation des cultures ? Michael Horsch le réfute et précise qu’une agriculture sans glyphosate augmenterait automatiquement le fer dans les sols. Il s’est cependant préparé à cette interdiction qui surviendra très probablement. Michael Horsch affirme, par ailleurs, que cette interdiction aura une incidence directe sur l'empreinte carbone dû à la multiplication des passages d'outils et l’augmentation du travail du sol. Interdire le glyphosate serait un pas en arrière pour l’agriculture moderne déclare Michael Horsch. Il espère qu’un compromis sera trouvé à l’échelle européenne.

En 2018, nous nous sommes trouvés face à un nouvel enjeu. Julia Klöckner, la Ministre allemande de l'Agriculture a demandé de réduire de 20% la teneur en sucre et en graisse dans tous les produits alimentaires. Elle a également déclaré qu’elle souhaitait supprimer l’utilisation de l’huile de palme. En Février 2019, l’entreprise Südzucker a dû fermer cinq de ses sites. Michael Horsch approuve cependant la consommation réfléchie des produits alimentaires. C’est également en février 2019 que la DLG (Deutsche Landwirtschafts-Gesellschaft = association allemande d'agriculture) a déclaré que les limites du progrès technologique étaient bientôt atteintes. A ce titre, le gérant de HORSCH pense qu’il est temps de mettre fin à la prolifération anarchique de nouveaux produits et concepts d'ingénierie. L’installation de toujours plus de capteurs finit par être inefficace.  

L’initiative citoyenne en faveur de la sauvegarde des abeilles qui a également eu lieu en février 2019 a déjà porté ses fruits. La revendication était : 10% de bandes fleuries, 30% de cultures biologiques. « La couverture médiatique à ce sujet est de plus en plus positive », se réjouit Michael Horsch et cite l’exemple de www.bluetenkorn.de qui a rencontré un écho très favorable, et ce, malgré l’utilisation de pulvérisateurs de produits phytosanitaires. Dans cet exemple précis, l’agriculteur a implanté dans son champ de blé des bandes fleuries non traitées tous les 30 m. Michael Horsch invite toutes les personnes présentes au séminaire : « Chacun de nous est appelé à juger par lui-même, prendre contact avec les voisins et les sensibiliser à ce sujet ». Nous sommes arrivés à un point où l’utilisation massive de produits phytosanitaires chimiques et souvent aussi de machines bien trop lourdes nuisent à la production agricole.

Lors de son discours, Michael Horsch a précisé que sa famille possède le Sitzenhof depuis 50 ans et que la terre y est depuis travaillée sans labour. Voilà 40 ans que leur exploitation fait l’objet d’une expérimentation agronomique gouvernementale, nommée  « essai des trois techniques culturales » (semis direct, déchaumage, labour). Le résultat : Quand on analyse les couches arables des trois champs, on peut constater que par rapport au semis direct, le champ labouré ne comporte qu’un ¼ des vers de terre et le champ déchaumé que la moitié. « A l’époque, nous n’étions pas trop pris au sérieux. Malgré cela, nous n’avons jamais abandonné la réflexion sur la santé des sols. Toute la famille s’est engagée pour faire avancer cette vision. Nous nous soucions déjà de l’état du sol et s’il allait rester satisfaisant pour les années à venir. Une terre saine est le garant de notre santé. Il est primordial de réfléchir dès à présent aux différentes cultures et aux rotations », affirme Michael Horsch. Par ailleurs, „Génération végétarienne“ est une nouvelle tendance à laquelle nous devons sensibiliser nos homologues.  Il est également important de ne pas perdre de vue l’agriculture hybride (mix entre conventionnelle et biologique). L'agriculture biologique continue de séduire de plus en plus de producteurs. Le nombre de grandes exploitations qui se convertissent au bio augmente rapidement ce qui entraîne inéluctablement une hausse dramatique de l’offre. Vraisemblablement les prix chuteront, ce qui impactera en premier lieu les petits producteurs. Cette politique est vouée à détruire les petites exploitations BIO familiales, s’exprime Michael Horsch.

En ce qui concerne le numérique, il est important de préciser qu'il n'est pas logique que le numérique soit le seul remède à nos maux à contrario de l'expertise agronomique et de la pratique sur le terrain ! Il y a 25 ans les premières moissonneuses-batteuses furent équipées pour pouvoir produire des cartes de rendement. A partir de là, les attentes des clients se sont démultipliées sur tous les outils de gestion agricole et les fabricants ont pu se remplir les poches. Actuellement, il existe tellement d’outils pour l’agriculture de précision que Michael Horsch n’y voit plus de potentiel pour l’entreprise. L’agriculture de préscription -, quant à elle, est nouvelle et vise à rendre l’intervention de l’agriculteur inutile et à pouvoir se passer de l’expertise pratique de ce dernier. « Ce n’est pas acceptable », trouve M. Horsch.   

M. Horsch a découvert au travers de diverses études réalisées à intervalles réguliers dans le monde entier que les agriculteurs qui font le plus de bénéfices sont ceux qui possèdent un équipement numérique minimaliste. Il explique que quand le chef de l’exploitation passe son temps derrière le bureau à cause du passage au numérique, cela se répercute immédiatement sur le bénéfice net avec un manque chiffré d’environ 500 €. Les agriculteurs avec les meilleurs résultats sont ceux qui sortent et qui décident sur place. Ils gagnent leur vie dans les champs. Il serait totalement illogique de vouloir les confiner dans un bureau. A contrario de l’élevage où le numérique est un outil utile qui permet à l’éleveur d’observer son bétail en toute tranquillité.

Pour quelles raisons employer le numérique, alors ? Pour garantir une interface unique, un langage commun entre fabricants et aussi avec les instances de l’Etat. C’est primordial selon Michael Horsch. Les consommateurs attendent une traçabilité des aliments à 100% (« l’agriculteur transparent »). Car, si les résultats continuent à baisser en Europe, de plus en plus d’aliments seront importés in fine de pays tiers moins soumis aux restrictions.

Une transparence totale pourrait permettre d’exercer une pression politique, d’afficher nos procédés de production et d’être un levier d’action. Michael Horsch demande aux producteurs de rester ouverts au numérique et de s’y intéresser activement, voire même d’envisager éventuellement l’automatisation de certains processus de travail. Le robot agricole sera tôt ou tard le petit plus qui fera la différence. Il précise que la conduite autonome doit être plus facile à mettre en place dans les champs que dans la circulation routière. Cela nécessitera incontestablement encore de longues délibérations politiques, afin de pouvoir clarifier les questions de sécurité et de responsabilité.

Optimisation du processus de travail

Dr. Patrick Ole Noack, maître de conférences spécialisé en technologies agricoles à la Faculté de Weihenstephan-Triesdorf, partage cet avis. Il pense que le numérique n’est pas un remède miracle, mais peut tout à fait être utile dans la démarche d’optimisation de certains processus de travail. Il étudie la problématique « passage au numérique – le grand débat - de quoi s'agit-il vraiment ? ». Le professeur a beaucoup d’expérience dans ce domaine. Après des études de sciences agronomiques à l’Université technique de Munich, il a travaillé entre 1997 et 2013 pour la société geo-konzept à Adelschlag (Bavière) qui commercialise des systèmes de guidage par satellite (GPS) universels ainsi que des systèmes RTK qui permettent la correction des données GPS. Ces produits s’adressent aussi bien aux producteurs agricoles qu’aux exploitants forestiers.

Precision Farming, Smart Farming, Digital Farming, Agriculture 4.0. Mais de quoi s'agit-il en réalité ? Tous ces termes signifient plus ou moins la même chose, explique Dr. Patrick Ole Noack. Derrière cette technologie de base se cachent des capteurs, des systèmes de télémétrie, des connexions bus CAN et des outils de préparation des données. Comme tous les outils, leur utilisation n’est pas adaptée à toutes les situations. Ils demandent un entretien certain, de l’entrainement et de l’expérience et, surtout, ils nécessitent encore l’intervention humaine. L’ingénierie mécanique atteint petit à petit ses limites. Le gabarit des machines, la charge par essieu, la pression au sol, la précision de la répartition des semences, de l’engrais minéral et de la paille sont des critères importants. Augmenter l’efficience au travers de machines toujours plus grandes n’est quasiment plus possible. En adoptant une approche technique, on pourrait dire que l’humain aussi possède ses limites, c'est-à-dire sa capacité de mémoire et de traitement en parallèle est restreinte et fait preuve d’une objectivité souvent altérée. Un autre enjeu majeur reste la perte continuelle de terres cultivables et le manque de personnel agricole qualifié. En raison de ces mutations structurelles, les exploitations grossissent inlassablement les obligeant à faire appel à une main-d’œuvre étrangère qui ne connaît pas très bien les surfaces agricoles sur lesquelles elle intervient. Dans ce contexte, l’agriculture de précision peut être une aide, même si ce n’est que sous forme de suggestion.

La pollution de la nappe phréatique par les nitrates constitue l'un des principaux défis pour l’agriculture de demain. Comment faisait-on avant ? Autrefois, le calcul du rendement se faisait à l’œil nu et l’agriculteur estimait lui-même l’apport d’engrais nécessaire à sa parcelle. Prof. Dr. Hermann Auernhammer a pu observer que le changement structurel engendrait la perte de cette faculté. L'idée était de moduler à la baisse les apports d'engrais dans les terres à faible potentiel. Certains experts « nourricier des plantes » pensent à contrario qu’il fallait apporter plus d’engrais à ces endroits.

Selon Dr. Patrick Ole Noack, le Dr. Hermann Auernhammer compte parmi les pionniers dans l’agriculture de précision. La collecte automatique des données, les techniques de recouvrement, la gestion des flottes et la robotique agricole… Tous ces outils permettent d’améliorer la gestion opérationnelle, la gestion des stocks, des machines ainsi que des processus de travail. Pour la production agricole, la transformation numérique s’avère plus complexe que pour d’autres secteurs dans la mesure où de nombreux facteurs doivent être pris en compte, tels que la plante, les propriétés du sol ou les conditions météorologiques. Nous disposons toutefois d’une dizaine d'années d'expérience. Les avantages pratiques de l’agriculture de précision ont rapidement dissipé l’idée initiale qu’il s’agissait là encore d’une dépense inutile.

Dr. Patrick Ole Noack expose les différents axes de l’agriculture de précision :

  • Système de guidage automatique : les premiers systèmes de conduite parallèle sont arrivés sur le marché il y a 20 ans. A l’époque ils étaient encore équipés de barres lumineuses. Puis les systèmes de guidage automatique sont arrivés. Ces solutions évolutives fonctionnaient encore avec une roulette de guidage. Leur valeur ajoutée devenait très rapidement évidente au vu du gain d’efficacité.
  • ISOBUS : Cette technologie est utilisée dans de nombreuses fonctions de l’agriculture de précision. La norme DIN ISO 11783 vise à spécifier la méthode appliquée pour faire fonctionner plusieurs terminaux en série.
  • TIM: Tractor Implement Management est un système de pilotage où des capteurs sont montés directement sur les machines ou outils de travail. Ces capteurs collectent en continu une multitude de données qui sont transférées via ISOBUS aux commandes du tracteur. Ce réseau de commandes et de communication pilote quasiment le tracteur. Cette technologie est prête à être fabriquée en série, sa commercialisation est cependant retardée pour des raisons de responsabilité non encore clarifiée.

Dr. Patrick Ole Noack précise : « Cette technologie ISOBUS avec ces terminaux nécessitait, à l’époque du Deutsch Mark, un investissement à 5 chiffres minimum. Aujourd’hui, elle est livrée de série ». 

L’agriculture de précision pourrait être la solution pour augmenter l’efficience dans de nombreux domaines dont l’apport d’engrais, mais aussi dans le traitement phytosanitaire au travers des systèmes de reconnaissance automatique des adventices. A l’avenir, on pourrait envisager l’épandage de précision par cartes d'application avec analyse préalable des sols par l’outil numérique et la validation par les autorités compétentes par la suite. Pour ce faire, une lecture automatisée de la réglementation deviendrait indispensable. Le problème étant que les lois ne sont que difficilement transposables de manière logique.

Dr. Patrick Ole Noack a constaté que les solutions numériques sont utilisées de différentes manières et à des degrés variables dans la production agricole. L’utilisation de coupures de tronçons, de guidage automatique ainsi que de logiciels de gestion d'exploitation agricole (Farm Management Software) est déjà très répandue. Toutefois, les données changent quand on passe à l’application et au zonage automatique de l'épandage ou à la cartographie des rendements. Elaborer des cartes d’application de précision s’avère être, dans la pratique, un enjeu majeur.

On peut donc se poser la question de la pertinence de la transformation digitale. Selon le Dr. Patrick Ole Noack, le numérique ne constitue pas un remède miracle, mais plutôt une boîte à outils bien fournie. Tous les outils ne sont pas forcément adaptés à chaque exploitation ou à chaque culture ou à tout type de personnel. En misant sur un savant mélange, il est possible d’assurer une efficacité maximale et un résultat plus élevé. Un mauvais mélange cependant entraînerait automatiquement une hausse des coûts et de la charge de travail. Si toutefois l’outil numérique vient faciliter le travail de l’exploitant, parvient à réduire les coûts et à augmenter le rendement, il est sans doute temps de passer au numérique.

Le sol est la clé de tout

L’agriculteur Max Stürzer, avec sa femme et ses deux filles, dirige le domaine agricole Schwaige qui compte plus de 350 hectares de terre et se situe à Starnberg en Bavière. Ses plus grands enjeux sont le pourcentage de limon contenu dans ses terres et les précipitations annuelles de près de 1 000 mm/m². Pour cette raison, le sol est très sensible au passage des engins agricoles. D’un autre côté, certaines de ces parcelles comportent uniquement du gravier. Eu égard aux propriétés différentes de ses terres, il s’est intéressé très tôt au système de la modulation intra-parcellaire. C’est en 1998 qu’il a fait établir sa première carte de rendement. La désillusion a vite remplacé la joie du début. L’intensité des précipitations venait influencer massivement le rendement d’année en année. « Je considère malgré tout les cartes de rendement comme un outil fort utile qui me permet de faire une analyse rétrospective de mes décisions agricoles », explique Max Stürzer. « Cet outil me permet de mieux calibrer mon regard, de voir si je fais les choses comme il faut ou pas et aussi de savoir où j’en suis dans mes appréciations. Je réfléchis à tout ça, même en conduisant mon tracteur. C’est ce qui me permet d’évoluer en tant qu’agriculteur ». Les cartes de rendement lui ont permis de comprendre que le sol était la clé de tout. Pour cette raison, l’étape suivante fut la mesure de la conductivité de ses terres, ce qui lui a permis de réaliser une étude approfondie de l’ensemble de ses parcelles. La pertinence des échantillons composites habituels est cependant restreinte selon lui. Fort de ces résultats, il a commencé à élaborer des cartes de semis. Il ne voulait pas simplement réduire l’investissement sur les zones à faible rendement, mais il voulait en trouver la cause. Il pense que c’est seulement après l’avoir trouvé que l’on peut, le cas échéant, faire le choix de réduire les intrants. Afin d’y parvenir, l’agriculteur prélève des échantillons du sol dans des zones bien définies.

En principe Max Stürzer est un adepte du semis à faible densité. Les cartes de semis lui ont permis d’ajuster la densité aux conditions du sol. Pour une question de simplicité, il a appliqué des coefficients. Il exploite ces informations également pour moduler les apports d’engrais.

Il en est resté là pendant quelque temps. Ce sujet ne fut que peu corroboré par les agronomes. « J’ai donc cartographié les rendements, mais je n’ai pas appliqué le processus à la lettre », raconte l’agriculteur. « Le GPS a permis une avancée nette. Mon épouse étant de nationalité américaine, j’avais des contacts outre-Atlantique, ce qui m’a permis de m’intéresser très tôt au sujet du « système de guidage automatique ». Au début, j’ai estimé que c’était trop coûteux. Puis en 2008, je m’y suis mis aussi. La précision de travail de ± 20 cm me semblait acceptable au début. Mais quand on utilise une telle technologie, on devient très vite très exigeant. Pour satisfaire cette exigence, je me suis équipé d’une station RTK en 2010. J’utilise l’application SectionControl. Je planifie la coupure des tronçons de manière cohérente. La moissonneuse-batteuse pose cependant problème. Son poids provoque un tassement des sols par temps humide et ce, toujours aux mêmes endroits. Néanmoins, je ne force pas tous mes engins agricoles à suivre des voies de passage fixes. J’appelle ça le CTF « light ». L’avantage du CTF (Controlled Traffic Farming) est de pouvoir définir des voies de passage permanentes. Le matin, je peux suivre les voies sèches et, s’il y a lieu, effectuer les passages dans les endroits plus humides plus tard dans la journée quand ils auront eu le temps de ressuyer.» Travailler avec des segments A-B était plutôt problématique pour l’agriculteur. Rien que la désignation des segments s'avérait difficile. Quant aux voies de passage fixes, les délimitations restent toujours exactement pareilles. Elles ne bougent pas, ce qui représente un avantage certain quant à la menace du chiendent qui aime s’installer aux abords accidentés des champs.

Max Stürzer déclare : « J’avais l’habitude de labourer le terrain toujours jusqu’au dernier recoin. Mis à part le fait que je ne laboure plus du tout, j’ai pu constater grâce à la cartographie des rendements que le besoin d’engrais et de produits phytosanitaires était identique, et le rendement cependant faible. J’ai donc rentabilisé au maximum les passages sur les parcelles en les structurant en conséquence. Je n’interviens plus sur les bouts de terrain en pointe et les bords difficiles d’accès. »

Max Stürzer est un des pionniers de l’agriculture de précision. Un équipement de qualité et une expérience solide en agriculture sont la clé du succès. Il affirme : « L’ordinateur ne peut en aucun cas remplacer mes prises de décision et je n’ai pas non plus besoin de cet instrument pour connaître l’historique de mes parcelles. Notre élément de base est la terre. Il suffit de la sentir pour savoir si elle est de bonne qualité. » Vingt ans après avoir pratiqué le Precision Farming, quel est son bilan ? « Un nouveau balai balaye bien, mais l’ancien connaît tous les recoins ».

La mise en pratique est souvent décevante

Karl-Heinz Mann est conseiller auprès du cabinet LBB (Cabinet de conseil et de création d’entreprises en milieu rural) à Göttingen. A ce titre, il réalise des comparaisons interentreprises pour le compte de ses clients. Il dispose donc d’une banque de données bien fournie. Sa question : « Qu’apporte le numérique aux entreprises agricoles ? » L’objectif premier de toute exploitation agricole est l’augmentation du rendement, l’économie des intrants, la réduction des coûts du travail (les salaires, la main-d’œuvre propre, les machines, les taux d’amortissement, les intérêts, le carburant et les travaux de réparation…) et la diminution des risques pour l’environnement, notamment lors des traitements phytosanitaires en essayant de limiter la dérive et la concentration des micropolluants dans les eaux au travers d’une application maîtrisée. 

Le conseiller précise que dans la pratique il n’y a pas de corrélation entre le résultat d’exploitation et l’affinité du producteur pour les outils numériques. Ce qui ne signifie pas que le numérique n’est pas utile, mais qu’il existe d’autres facteurs de réussite. Une exploitation agricole a tout simplement de nombreux chantiers à gérer.

En ce qui concerne la mise en place du parc numérique, Karl-Heinz Mann a vécu la même expérience que Dr. Patrick Ole Noack. Nombre de tracteurs et moissonneuses-batteuses sont équipés de GPS ; 95% de ses clients les utilisent, 40% disposent même d’une station RTK. Les cartes de fertilisation sont très répandues (70%), elles sont souvent établies sur la base d’une grille d’échantillonnage portant sur 3 hectares. Seuls 45% des exploitations les appliquent cependant lors de l’apport d’engrais. La fertilisation de fond se fait généralement sans carte. La fertilisation organique se fait à moins de 10% par modulation intra-parcellaire.

Dans le domaine de la protection des cultures la situation se présente différemment affirme Karl-Heinz Mann. Presque tous ses clients utilisent le SectionControl. 90% sont équipés du système de gestion des manœuvres en fourrière ainsi que des commandes électriques individuelles des buses ou du double embrayage. L’application par modulation intra-parcellaire de régulateurs de croissance ou de fongicides n’est quasiment pas pratiquée et celle en herbicides, jamais.

Les attentes vis-à-vis de la transformation digitale sont très élevées chez les exploitants travaillant déjà avec les outils numériques. Ceci est particulièrement vrai quand il s’agit du semis. Karl-Heinz Mann estime qu’un gain de 50 € à 60 € par hectare de terre peut être obtenu dans la pratique. Les entreprises agricoles qui ne sont pas encore passées au numérique estiment cependant que l’utilité de la digitalisation est moindre.

Karl-Heinz Mann a réalisé de nombreuses enquêtes et nous explique que tout n’est pas toujours rose. Les agriculteurs se plaignent régulièrement de problèmes d’interface, mais aussi du coût élevé de cette technologie et des logiciels, du manque de visibilité des résultats et de l’investissement en temps très important. 

Karl-Heinz Mann est convaincu que la technologie numérique peut être très utile dans beaucoup de domaines, tels que les voies de passage fixes, le CTF pour protéger les sols lors du dosage du fertilisant ou des traitements phytosanitaires. Pour le travail du sol, la mise en pratique s’avère parfois plus problématique. L’utilisation du système de gestion des manœuvres en fourrière et du SectionControl est presque toujours pertinente. Elle est déjà appliquée par la plupart des agriculteurs. Un semis par modulation intra-parcellaire est surtout conseillé pour de grandes surfaces de terre affichant des disparités majeures (voir le discours de M. Stürzer).

Dans la pratique, l’expert conseille d’assurer une fertilisation de fond, de bien calculer les doses en fonction des résultats de l’échantillonnage et en tenant compte des propriétés des sols. A coût égal, il pourrait être possible d’apporter du fertilisant aux endroits peu couverts aux dépens des endroits très couverts. Après 12 ans d’augmentation et de stabilisation des rendements, un réajustement est préconisé. Il est tout à fait correct d’adapter la fertilisation de fond aux éléments nutritifs présents dans le sol naturellement. Toutefois, quand il s’agit de grandes surfaces agricoles, il est fortement conseillé de moduler l’apport d’engrais à la surface parcellaire. Karl-Heinz Mann précise que la modulation intra-parcellaire de fertilisants est très pratiquée, mais son efficacité n’est quasiment pas mesurable. Il n’existe pas de station d’essai à ce jour. On peut partir du principe qu’une économie de 10 Kg à 30 kg N d’engrais par hectare peut être réalisée. Un effet secondaire positif : une densité trop forte peut ainsi être évitée. Le capteur N fonctionne bien dans la pratique et son application est très utile dans des parcelles de terre hétérogènes. Pour la fertilisation organique, la modulation à la surface parcellaire est plutôt compliquée, étant donné que les substrats ne sont pas homogènes. Le recours à la technologie NIRS ou SPIR (spectrométrie dans le proche infrarouge) peut être judicieuse.

L’utilisation d’autres outils numériques est plutôt controversée selon le conseiller. Il précise que la détection automatique des adventices et des graminées est loin d’être au point, mais comporte un fort potentiel. En ce qui concerne les fongicides, un bon ajustement du dosage est quasi impossible dû à l’existence de résistances. Le digital offre un rapport coût/bénéfice positif quand il s’agit du pilotage des machines. Son utilisation est en général rentabilisée et l’optimisation fonctionne la plupart du temps. La gestion numérique des flottes n’est rentable que pour les grandes exploitations agricoles ou les ETA. L’organisation et les tâches administratives comportent encore beaucoup de potentiel de rentabilité. Les coûts engendrés par la comptabilité, la gestion des cartes et la numérisation des documents sont relativement élevés.

Karl-Heinz Mann est persuadé que dans la pratique, malgré les grandes promesses faites par les fabricants et la classe politique, les solutions restent insatisfaisantes. L’investissement nécessaire en coût et en temps est toujours trop élevé. Toutefois, ces systèmes peuvent être utiles pour optimiser certains processus de travail. Ils ne pourront jamais remplacer une gestion efficace des collaborateurs ou une organisation structurée et performante mise en place par l’exploitant lui-même. Dans ce cas, une collecte massive de données peut aussi bien être abandonnée. Les outils numériques existent pour faciliter le travail. En aucun cas, ils ne doivent venir perturber le déroulement du travail du chef d’exploitation ou du responsable de production en les cloîtrant inutilement dans leur bureau. La réussite ne sourira qu’à ceux qui feront un usage réfléchi et judicieux des solutions numériques. Karl-Heinz Mann termine son élocution en précisant qu’un chef d’exploitation à succès n’a pas sa place derrière un bureau, mais plutôt dans son champ.

Soirée de gala

En amont du séminaire HORSCH, une soirée de gala était organisée dans le FITZentrum situé sur le domaine du Sitzenhof. La restauration était rustique, faite de cuisine traditionnelle et de bières blanches. Un service tout en contraste avec l’intervention du conférencier spécialiste de la motivation, Marc Gassert, avec le titre « Ce n’est pas le fait de commencer quelque chose qui est récompensé, mais la persévérance d’aller jusqu’au bout ». Il a décrit son séjour au sein d’un monastère Shaolin en Chine où la journée commençait au petit matin à 1h30 avec une course à pied de 21 km. Les moines Shaolin passent jusqu’à 17h par jour à l’entrainement mental et physique. Il y avait deux disciplines, celle initiée de l’intérieur et celle initiée de l’extérieur. Pour créer quelque chose de grand, il faut activer l’initiative qui vient de l’intérieur de soi-même. L’humain connaît trois sortes de forces motrices : l’impulsion biologique, les valeurs et la volonté. L’argent n’est pas forcément une motivation. Marc Gassert en a fait la démonstration dans la foulée en proposant 25 € à celui qui serait prêt à s'accroupir les jambes écartées pendant un certain laps de temps. En effet, la personne test a confirmé ne pas avoir pensé à l’argent, mais au fait de vouloir tenir jusqu’au bout. Le conférencier a fait la recommandation à toute l’assemblée de ne plus repousser à demain leur prise de décision, car plus il y a de décisions à prendre, plus vite nous épuisons nos ressources d’énergie. Afin d’éviter toute sensation de stress, il est important de veiller à un équilibre au travers d’une compensation positive. Toutefois, souvent, il suffit tout simplement de cesser de se plaindre. L’être humain a besoin d’un travail qui le force à se concentrer et qui soit gratifiant.